Numéro#
Sport de combat

Saboteur
Québec
Note : 6.5/10

Il y a trois ans, Numéro# lançait son premier disque, L’idéologie des stars, sur la même étiquette que Dj Champion, Saboteur. Dans cette œuvre se trouvait le single qui a occupé plusieurs heures de temps d’antenne sur les plateformes médiatiques ciblant surtout les jeunes et qui fut enregistrée avec Omnikrom : Chewing gum fraise. Avec son vidéoclip carrément quétaine, sa base pop-électronique années 80 et son sujet adolescent et naïf, Chewing gum fraise ne représentait pas grand chose du reste de l’album de ce groupe. En fait, si l’instrumentation demeurait la même, c’est-à-dire basée sur des musiques synthétiques, synthétisées et informatisées, les thèmes variaient d’un extrême à l’autre puisque l’essence du disque reposait sur le sarcasme et le cynisme vis-à-vis les élites de la société. Attaquant tour à tour le snobisme de certains intellectuels se croyant au-dessus de la mêlée, les artistes se pensant cool  et ainsi de suite, Pierre Crube et Jérôme Rocipon tentèrent une manœuvre périlleuse : critiquer la pop tout en faisant de la pop. Visiblement, l’objectif a été atteint et, trois ans plus tard, Sport de combat, leur deuxième opus, voit le jour. Force est de constater que le groupe a changé de voie.

Pour remplacer les paroles satiriques et les assauts verbaux, Jérôme a écrit des textes tournant plutôt autour de ses angoisses et de ses peurs. Évidemment, la musique a pris le même tournant et les arrangements fluos sont désormais plus sombres et agressifs. Le premier titre de l’album, Tonton klaxonne, constitue un single à part entière avec sa mélodie électronique rapide en double-croche, les tambours alternant entre notes hautes et notes basses à chaque temps, la structure de chanson traditionnelle avec bridge après le deuxième refrain et le refrain, justement, accrocheur à souhaits. On sent que Pierre Crube, artisan du niveau musical du groupe et producteur, a peaufiné sa technique d’échantillonnage. Les textures de son se retrouvent bien rodées et souvent beaucoup plus profondes que ce que la musique pop a à offrir lorsque l’on regarde du côté des stations radiophoniques. Synthétiseurs agressifs, envolées saturées, relais mélodiques entre pistes de sons, en général Crube a fabriqué des plateaux musicaux soutenant convenablement la voix de son camarade.

L’ambiance de l’album tourne autour des questions majoritairement émotionnelles posées par Jérôme. Sur Tout est parfait, la mélodie électronique basse et effrénée supporte les paroles un peu simplistes du chanteur : « Tout est parfait/digne, héroïque/pourquoi vivre autrement? ». Ce genre de réflexion existentielle abonde dans les paroles un peu partout tout au long des 38 minutes et 55 secondes composant l’album. Les thèmes alternent autour du sarcasme rôdant autour des bases de la société, l’homme perdu sur une île incapable de retourner sur la terre ferme, le mensonge, l’angoisse et la transformation, des êtres humains, en machine à consommer. Et sur ce point, Numéro# garde sa verve de base en critiquant, sur des points différents, des problèmes de notre société post-moderne et consommatrice.

Tout de même, certaines pistes sont moins sombres musicalement. Angoisse, paresse, panique, malgré son titre froid, possède un refrain accrocheur grâce aux envolées magiquement efficaces évoluant en crescendo avant de tomber dans un bridge nerveux à deux arpèges. Faux tempo base sa progression sur un piano modifié et une sympathique mélodie synthétique très années 80 avant de sombrer dans une très réussie cassure rythmique passant du bas niveau à un sommet d’ambiance mélangeant le piano et les paroles rêveuses de Jérôme se terminant avec la fin de la chanson.

Il est important de l’avouer : Numéro# constitue un groupe pop bien au-dessus de la moyenne dans ce genre de style. Si, la plupart du temps, ce type d’artiste se contente de concepts et de structures constructrices empruntées à la radio, Jérôme et Pierre font de leur mieux pour faire les saumons et remonter la rivière à contre-courant. Si c’est parfois efficace, parfois ça l’est moins. L’auto-tune, popularisée par Kanye West, T-Pain et autres, aurait facilement pu être mise à la poubelle étant donné que Jéröme est suffisamment apte à faire vibrer ses cordes vocales sans l’aide d’un codec informatique pour ajuster son timbre. Lorsque le duo n’invente pas quelques chansons dénonçant la société dans laquelle il vit, il s’approprie quelque peu les mauvais côtés de cette culture. On aime Numéro# pour leurs propos intelligents rythmés sur des musiques accrocheuses mais, sur ce disque, ils prouvent qu’ils abaissent parfois leurs gardes intellectuelles pour devenir des produits de la société. Comme quoi tout le monde est humain.

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