Si le crash boursier de 1929 a précédé la grande dépression, les faux espoirs de 2010 ont été les préludes d’une grande désillusion. En 2011, les chansons qui ont le plus vibré dans nos écouteurs ont été les reflets d’un environnement nostalgique et inquiétant. Même dans la pop la plus clichée, on a pu entendre la chanteuse Britney Spears bringuer les DJs de la laisser danser jusqu’à la fin du monde.
2011, tu as échoué. Tu as eu soif de changement dans les camps d’Occupy et dans les grandes places du Maghreb et du Moyen-Orient. Tu t’es écroulé en bourse. Tu as remis en doute l’utopie d’une Europe unie. Et maintenant, à l’aube de ta fin, tu t’en vas avec un bilan inquiétant. Ceux qui t’ont chanté, l’ont fait pour t’oublier, pour t’affronter ou pour t’écouter – trois manières de faire qui ont marqué l’année.
Seul sur un banc du Queen Park, à Vancouver, l’interprète de Destroyer, Dan Bejar fait dos à la cité olympique de 2010. Sur son disque Kaputt, le chanteur a mis de côté la musique moderne pour les saxophones. Il a préféré ironiser son époque en jouant au musicien typique des années 80. PJ Harvey, une citadine des grandes villes, a délaissé les rivages de la Tamise pour les plages moins populeuses de la Manche. De sa fenêtre, elle a regardé chaque jour pendant cinq semaines des vagues s’échouer sur la terre anglaise. Comme une reine déchue, PJ Harvey a répété sur son nouveau disque de vieux cantiques anglais. La tête face à une Europe en chute libre, elle a chanté, «ils n’ont pas compris, laissez-les donc trembler». Cette année, la chanteuse a composé un disque anthologique sur l’effondrement d’un vieux consentement. Non loin d’Eau Claire au Wisconsin, Justin Vernon a de son côté abandonné sa chaumière d’ermite. Il a quitté sa forêt et a atteint le sommet d’une montagne avoisinante. Du haut de son belvédère, il a fait une prise de vue de ce qui était Bon Iver. Et c’est de là que la musique du barbu a pris une nouvelle direction. Il n’était plus temps pour lui de raconter l’histoire de quelques hommes perdus, mais plutôt d’illustrer les récits de voyage d’un ex-reclus. En opposition à la chanteuse PJ Harvey, Justin Vernon n’a pas choisi de voir le monde trembler, il a décidé de trembler avec lui. -W.F-B.
Dans les prochains jours, vous pourrez consulter sur Feu à volonté, nos choix musicaux de l’année. Une sélection représentant, selon nous, ce qu’il y a eu de meilleur cette année dans nos écouteurs.
#25 Youth Lagoon – The Year of Hibernation [Fat Possum]
Bien cloîtré dans sa chambre, l’Américain Trevor Powers nous a concocté un bien joli premier disque. L’influence de Beach House se sent dans l’atmosphère indie-pop naïve qui se dégage des neuf morceaux. On peut presque entendre les quatre murs entre lesquels le musicien s’est enfermé pour produire The Year of Hibernation tant la musique est intime. Plusieurs se sentiront rajeunis à l’écoute de ce très bon, mais trop court, premier disque de Youth Lagoon. –O.M.
#24 The Weeknd – House of Balloons [XO]
Il est numéro 24 du top 25, mais aurait été numéro un si l’on avait fait un top séduisant. Entre l’hymne à l’acte charnel et l’apogée du spliff, le charme est irrésistible, irrésistiblement non censuré. The Weeknd, vous convint d’arrêter de penser et simplement de prendre plaisir. Cet album saura rendre vos insomnies indécentes, surtout si elles sont accompagnées. –C.B.
#23 Cults – Cults [In the Name of Columbia]
Ce duo mystérieux s’est fait connaître l’an dernier avec la pièce Go Outside, qualifié de meilleur nouveau morceau par les critiques de Pitchfork, en 2010. Depuis, Medeline Follin et Brian Oblivion ont tenté de négocier avec ce succès inattendu, rapatriant leurs amis musiciens de Californie à New York pour composer et enfin entamer une tournée à l’hiver 2011. C’est seulement en avril de cette année qu’ils enregistrent leur premier album éponyme, un modeste amalgame de 11 chansons pop efficaces sur une trame rock/rétro.
Écouter Cults c’est se retrouver dans un monde léger et vaporeux. Sur leur musique simple et accrocheuse, il est carrément difficile de ne pas hocher la tête, taper du pied ou bouger les hanches. Votre esprit s’attardera à Most Wanted, Bumper, Abducted et Never Heal Myself et se laissera ensuite porter par la naïveté des autres morceaux. L’album aux accents 50’s est sans aucun doute un incontournable indie de 2011. –R.d-F.
#22 Colin Stetson – History Warefare Vol2: Judges [Constellation]
Un opéra pour saxophone ténor. Tréfonds tout droit sortis des entrailles de la Terre. En un seul souffle, Colin Stetson livre, plus qu’un opéra, une transe orchestrale, où l’on croirait entendre une vingtaine d’instruments alors qu’il est seul. Seul avec un saxophone, une seule respiration et ses seules cordes vocales. Et qui dit un seul instrument ne dit pas platonique, non, loin de là. Émouvant de voir un homme haleter dans autant de profondeurs abyssales. Et toute comparaison serait superflue, puisqu’on parle ici d’un voyage aux sonorités uniques. On aura pu entendre Colin Stetson dans ses maintes collaborations éparses, telles qu’avec Bell Orchestre, Arcade Fire, Tom Waits et Bon Iver, mais il faut certainement se laisser découvrir son unicité nuancée. –É.B.
#21 SBTRKT – SBTRKT [Young Turks]
Lancé en milieu d’année, le premier opus du Britannique Aaron Jerome, alias SBTRKT, ouvre une porte vers l’univers complexe entourant le dubstep londonien. Le premier simple de l’album, Wildfire, s’illustre rapidement comme une synthèse de cette oeuvre aux influences aussi bien r&b que pop. Plus fiévreux et plus ficelé qu’une galette de James Blake, SBTRKT est un album dubstep qui s’écoute en boucle, comme un tout. L’urgence des mélodies et la justesse des voix des chanteurs invités comme Shampha, lui confèrent une proximité et une chaleur au public, manquantes dans la plupart des autres productions underground dubstep. –M-A.Z.