Vendredi soir à L’Esco, Pierre Lapointe s’est entouré de ses Beaux Sans-Coeur, mais aussi d’Herby Moreau pour nous présenter une version libérée de sa personnalité. Devant une salle comble, où s’empiétaient quelques fans et plusieurs personnes «du milieu», celui qu’on connaît pour sa poésie et ses douces mélodies a plutôt vanté les mérites du sexe anal sur des airs rock n’ roll.
Je connais L’Esco de fond en comble, ou presque. On pourrait même dire que j’y ai grandi. Mais ce soir, le bar me paraît inconnu.
Au plafond, des centaines de guirlandes rouges, bleues et blanches se croisent d’un mur à l’autre. Sur la scène, des pompons de mêmes couleurs couvrent les instruments. Dans la pièce, aucun itinérant n’est présent. Me serais-je trompée d’endroit?
Non, je suis bel et bien au coin de Mont-Royal et de Saint-Denis, à quelques pas du feu Amir. La présence d’un artiste de catégorie A a cependant déguisé le sous-sol de quelques mètres carrés en salle de spectacle plutôt distinguée. Si Pierre Lapointe souhaitait vivre une expérience rock underground, l’objectif sera difficilement atteignable. Les véritables adeptes de L’Esco n’ont pas de réel intérêt pour la mise en scène sophistiquée ni l’habitude de se procurer des billets à 30 $.
Ce bar-spectacle partage cependant beaucoup plus de points communs avec le rock garage que l’anthologique Étoile Dix-30. Le chanteur d’Alma à l’accent français sort inévitablement de sa zone de confort avec ce projet musical, qui a donné naissance à l’album Ton corps est déjà froid. Cet exercice hors du commun met en lumière l’intelligence de Pierre Lapointe. Malgré son succès, le propulsant depuis quelques années entre Paris et Montréal, il a décidé de se challenger, et cela, c’est tout en son honneur.
En dévalant les quatre marches du sinistre Escogriffe, je présente néanmoins certaines réserves. À mon sens, cet opus de douze pièces, que j’ai écouté à quelques reprises avant d’arriver, est particulièrement inégal. À l’instar de quelques chroniqueurs musicaux, je suis loin de louanger cet album que je juge beaucoup trop produit pour le style souhaité. Je considère que Ton corps est déjà froid se situe, certes, quelque part entre l’Étoile Dix-30 et L’Esco, mais un peu plus vers le Nord.
Le grivois Pierre Lapointe réveille certains stock-ups
Le spectacle prend du temps à s’activer. Pendant les dix premières minutes, les Beaux Sans-Coeur interprètent les quatre mesures de la pièce titre de l’album, Ton corps est déjà froid, qui équivaut au Décompte, la dernière pièce de l’album. Le public hoche discrètement la tête, alors que moi, je bouge déjà comme s’il n’y avait pas de lendemain, et ce, malgré les regards remplis de jugement. (#livingyoungnwildnfree)
La représentation prend forme lorsque Pierre Lapointe arrive sur scène, vêtu, comme ses musiciens, d’un ensemble blanc paré de franges. Avec son style un peu cow-boy, il interprète la chanson maîtresse de l’album. L’impressionnante assurance du chanteur, mariée à sa voix aussi ténébreuse que sensuelle, me secoue. Je me sens tout à coup extrêmement chanceuse de prendre part à cet évènement. Après tout, cet artiste est un monument.
Le public restera très stoïque pendant l’heure, même si je tente d’entamer un mouvement, ou plutôt un moshpit. Herby Moreau décide même de quitter la salle après seulement quelques pièces. C’MON HERBY!
Je me surprends finalement à kiffer grave. Le projet «bulle» de Lapointe et des Beaux Sans-Coeur s’anime véritablement en version live. Plusieurs des pièces sont en fin de compte d’incontestables vers d’oreille et surtout, beaucoup plus garage sur scène. J’aime particulièrement Sous ses cheveux et Chienne Chimère. Les reprises «punk» de La sexualité et Je déteste ma vie, en rappel, sont de vrais bijoux.
Les interventions grivoises de Pierre Lapointe ponctuent avec justesse la soirée. Dans ses spectacles antérieurs et même dans La science du coeur, dont la tournée se poursuit actuellement, on décèle l’humour de l’artiste. Ce soir, il le confirme, notamment avec la dédicace de La voix d’un homme: «Pour les futurs enculés du Québec», lance-t-il après avoir vanté les mérites du sexe anal aux hommes, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels. Ah! Enfin, je retrouve mon Esco adoré.
Mon cynisme s’est finalement dissipé. J’ai tellement aimé ma soirée que j’ai acheté une broche à l’effigie de Pierre Lapointe pour mettre sur mon coat de jeans. À mon sens, il a manqué de scream et de body surfing. Par contre, avec l’impassibilité des gens présents, cela n’aurait sans doute pas été une bonne idée.
J’ai bien hâte de voir où cette bulle le mènera. Somme toute, je le félicite pour son audace. Mais bon, il en a sûrement rien à faire que Laurence Godcharles le complimente.