J’ai rencontré Maître J de La Brigade des Moeurs. Ils seront en show ce soir à 23h sur la Scène Urbaine des Francofolies. Voici un compte-rendu de la fois où j’ai voulu aller prendre un cours de philosophie du hip-hop au Cégep.
1- Sur votre bandcamp, on peut lire spontané et abrasif. Comment ces deux qualificatifs cohabitent ensemble dans votre musique?
Abrasif c’est le côté punk, c’est sûr, bon c’est pas la première fois que je travaille avec Xavier, mais c’est la première fois qu’on intègre ce qui nous a influencés à l’adolescence, c’est à dire le punk anglais de la fin des années 70. Dans le punk, cette agressivité-là est spontanée. Ça allait donc de soi de mettre ces deux qualificatifs ensemble.
2- Ce n’est pas votre premier projet ensemble. Pourquoi avoir choisi un nom de groupe pour celui-ci?
C’est vraiment partie d’une soirée dans un bar dans le sud-ouest de Montréal et ça me trottait en tête de faire quelque chose de léger léger au niveau de l’approche de composition. On écrit rien sur papier, on est là et on y va. L’idée, c’est de se lancer spontanément finalement. Très rapidement j’ai commencé à sortir des références de philosophie dans ma tête, alors que Xav, lui, c’était plus des références de rap. J’ai une phrase dans une des nouvelles tounes qu’on va faire au show qui dit: «Maya Angelou, consolait 2pac quand il pleurait.» C’est littéraire-hip-hop. Brigade des Moeurs, ça ferait un peu ça, c’est-à-dire le côté ridicule de la moralisation philosophique, mais aussi le côté assumé. Un moment donné, je critique les gens qui font de la coke, ce côté moralisateur-là m’énerve plus souvent qu’autrement dans la chanson engagée quand ça devient un peu comme une grand-mère qui critique, ça me fatigue. C’est aussi quelque chose que j’ai voulu assumer. En prenant un nom comme La Brigade des Moeurs, c’est niaiseux, mais ça fait partie de ce que je suis.
2.1 Alors vous enregistrez sans écrire?
On n’écrit pas. Pour le EP, j’arrivais chez eux et il me disait, j’ai telle banque de sons pour aujourd’hui et il construisait les beats au fur et à mesure. Pendant qu’il travaillait sur le beat, j’avais le temps de penser aux quatre premières mesures. Composer sans écrire, ça m’a permis de faire rimer des affaires que si je suis en train d’écrire, ça rime pas. C’est super libérateur pis moi, j’veux pus jamais écrire du rap. JAMAIS JAMAIS JAMAIS JAMAIS. C’est plus agréable et ça sonne mieux comme ça.
3- Vous parlez de Platon et de graine dans la même chanson, quelle autre association surprenante a du sens pour toi?
Ben tu vois, Platon, c’est moi et la graine c’est Xav. Haha! C’est une rencontre de 2 mondes. Les rappeurs, traditionnellement, font beaucoup référence à leur propre sexe. Xav reprend ce lieu commun-là et ce l’approprie. En fait, cette line-là je crois qu’il est en train de citer Snoop Dogg. Il a traduit «avec une grosse graine pour ta tabarnak de face» qui vient de «guess who’s back in the house, with a fucking big dick for your mouth». Bon, il a décidé de traduire ça, parce que, dans cette toune-là, on fait juste traduire des affaires. Dans celle-là, moi je fais référence à Platon en traduisant du Cypress Hill «I want to get high», j’veux m’élever et chez Platon il y a l’élévation. L’idée de base de la toune, c’était vraiment, on va prendre des vieux classiques du hip-hop et on va faire référence à ça et à toutes les affaires qui nous inspirent et qu’on aime. Lui a pris cette direction-là et moi j’en ai pris une autre.
4- Musicalement parlant, on peut dire que vous êtes attirés par différents styles. Qu’est-ce qui vous a amenés vers le hip-hop-punky cette fois-ci?
C’est une date qui me fascine beaucoup: New York 1977, où tout ça cohabitait. Ça a influencé les Beastie Boys qui ont sorti leurs premiers albums quelques années plus tard. Rick Rubin s’intéressait aux deux scènes. Il a produit le premier album des Beastie Boys, en tout cas le premier officiel, et lui se disait que dans le nord de la ville y’avait le Bronx et dans le Lower East Side c’était le punk. Comment est-ce qu’on peut aller rejoindre les deux bouts? Ça a donné, par la suite, dans le côté plus commercial des affaires comme Walk This Way avec Run DMC et Aerosmith. À ce moment, c’était plus hip-hop rock, mais au début c’était rap punk. Quand tu vas dans le côté très cru de la chose, ça cohabitait et les gens des deux scènes se rejoignaient beaucoup. Ils défendaient la même marginalité, certainement pas du même point de vue parce que la misère du Bronx était à un autre niveau complètement que celle du Lower East Side. Malgré tout ça il y avait une certaine marginalité qui se rejoignait.
5- Sur le EP, la track Ciel étoilé est dédiée à l’astrologie. Quel signe astrologique est le plus rushant selon toi?
Ben Sorpion, parce que Xavier est Scorpion. Ils sont lourds. Mon grand frère était Scorpion alors j’ai des issues avec ça. Les signes astrologique, c’est une autre référence au début du hip-hop. Il y a tout le temps genre «my name is Adrock, I’m a Scorpio», je sais pas pourquoi, mais c’est devenu une espèce d’affaire. Encore une fois, un thème classique du hip-hop Old School, on a décidé de le pousser jusqu’au bout. Dans la toune, je cite Kant parce qu’il dit: «il y a deux choses qui me fascinent: le ciel étoilé et la loi morale dans mon coeur». C’est rare qu’on parle des étoiles en philosophie, mais moi j’pense qu’on devrait. Quand on regarde le ciel on capote, c’est basic comme feeling philosophique, mais c’est important.
6- Comme les Francofolies, ça s’adresse à un large public, comment décrirais-tu ta musique à une madame qui écoute juste Les saisons de Clodine?
La madame qui écoute Les saisons de Clodine sera probablement au spectacle hommage à Richard Desjardins qui est juste avant le nôtre. Ensuite de ça j’ai envie de dire à la madame ou le monsieur venez écouter comment le rap peut intégrer de la philosophie, ça serait ça l’angle que je prendrais. J’enseigne un cours qui s’appelle Philosophie du Hip-hop au Cégep alors un des angles que je vois là-dedans c’est un pont entre les générations.
7- Quels sont les 3 mots préférés de la langue française?
L’amour, la musique. Et l’enthousiasme, la racine de ce mot est magnifique. C’est être rempli de Dieu. La personne qui est enthousiaste est portée par des divinités. C’est un mot que j’aime énormément.
8- Quelle artiste francophone te fait le plus rire?
Hum, bonne question. Le rappeur français Kaaris. Il est super méchant et c’est du gros gangster rap. Je respecte les réalités qu’il est en train de décrire et j’ai quand même du respect pour le gangster rap, mais dès que ça entre dans la posture, ça me fait rire un peu. J’peux pas faire autrement.
9- Avec quel artiste des Francofolies tu aimerais un jour partager la scène?
Je sais pas si je serais game de partager la scène avec lui, mais MC Solaar est en train de faire un retour ces temps-ci et j’aimerais juste être là au show. Ça serait un peu comme dans le temps que je faisais des collabos avec Le Roi Poisson, Orange Orange et La Pathère Rose.
10- Avez-vous d’autres shows prévus pour l’été?
Non pas du tout. On fait ce show-là et après on s’en va finir l’album. Moi, je pars de Montréal pendant un mois et je m’en vais finir mon manuscrit d’un cours que je donne sur la philo et le hip-hop. J’m’isole à New York pour faire ça, c’est ça que je fais de mon été. Je reviens à la fin du mois de juillet et on va continuer de composer des tounes à raison d’une par semaine les samedis. On va voir où ça mène. Déjà, que je sois assis ici en train de t’en parler, je ne m’attendais pas à ça.
La Brigade des Moeurs sera sur la scène Urbaine, ce soir, 11 juin, dès 23h.