Le rap québécois fait tourner les têtes en 2016: apparition d’acteurs notoires de la scène locale dans des émissions d’envergure comme Tout le monde en parle, débats sur le franglais et controverses médiatiques. Il y a même eu la présentation d’un spectacle historique mettant en vedette Brown, Alaclair Ensemble, Dead Obies et LLA en ouverture des FrancoFolies!
À travers tout ça, on entend souvent parler du rap queb pour les passions qu’il soulève, mais rarement a-t-on l’occasion d’en entendre parler dans un contexte ouvert, de la bouche des professionnels et artisans du mouvement qui cherchent à le mettre en perspective pour échanger librement sur l’état actuel des choses. C’est précisément ce qu’offrait la conférence Rap Queb 2016 présentée mardi au Bistro Ste-Cath dans le cadre de la Grosse Semaine! Tu parles d’un adon! Sans crier gare (ni train), FAV s’est rendu sur les lieux pour y assister et te faire un compte-rendu de ce qui s’est dit à ce rendez-vous prometteur.
C’est dans une atmosphère décontractée et intimiste que la conférence commence à s’installer entre les chaleureux murs du Bistro. Sur les lieux pour prendre la parole, on retrouve cinq panélistes aux différentes spécialisations:
- Helmé: membre du groupe Dézuets d’Plingrés, venu pour présenter brièvement son mémoire de maîtrise portant sur le rap québécois.
- Lou Piensa: emcee et beatmaker au sein du collectif Nomadic Massive qui incarne l’identité multiculturelle de Montréal.
- FiligraNn: co-fondateur des WordUp! Battles et de Grosse Chose (qui présente le festival encadrant la conférence.) Il est également membre du collectif montréalais K6A.
- Riff Tabaracci: ancien hater de forum devenu animateur à CISM et journaliste culturel au Voir (et sur plusieurs autres plateformes sous le nom d’Olivier Boisvert-Magnen), et accessoirement notre bien-aimé co-rédacteur-en-chef.
- Benoit: animateur derrière l’émission Ghetto Érudit à CISM et les fameux End of the Weak, venu agir à titre de modérateur de discussion.
Tous enfin réunis derrière la table, nos hôtes prennent finalement la parole. Place à la discussion!
Analyse des messages dans le rap francophone du Québec
Pour casser la glace, Helmé vient présenter une partie de son mémoire de maîtrise en sociologie portant sur les propos véhiculés dans le rap québécois. Ne cherchant pas à tourner les coins ronds, Helmé s’est prêté à l’écoute de 1260 albums pour brosser un large portrait des discours tenus par les rappeurs de la Belle Province entre 1990 et 2012.
D’entrée de jeu, il est assez saisissant de constater que le débat sur la liberté d’expression via le rap passe dans le beurre parce que les médias ne s’intéressent simplement pas à ce qu’il a à dire! C’est à coups de quotes percutantes qu’Helmé appuie son point. Il est également intéressant de constater le double discours qui est envoyé par nos rappeurs sur certains sujets donnés: par exemple, certains dénoncent la valeur de l’argent au sein de nos sociétés (La Réplik, Vice Verset), d’autres glorifient son pouvoir (King, Izzo, Ale Dee).
L’intéressant travail rétrospectif et l’analyse offrent une bonne vue d’ensemble sur les propos que le rap queb a tenu depuis ses premiers balbutiements. Le fruit de la réflexion ouvre la porte à une nouvelle ère tout aussi effervescente. Ce sera intéressant de surveiller la suite des choses! Un autre mémoire dans 20 ans, Helmé?
Le multiculturalisme au service de l’originalité
Lou Piensa, membre du collectif multilingue Nomadic Massive, témoigne du potentiel de richesse artistique que Montréal représente en tant que bassin multiculturel unique.
Ce potentiel, Lou le connait bien, car c’est grâce à la richesse multilingue de son groupe que ce dernier a pu faire des shows à l’étranger et présenter concrètement la force des cultures lorsqu’elles se réunissent sous un même toit artistique. Cette richesse n’est pas nouvelle: des groupes comme Muzion en ont même fait leur marque de commerce dans le passé!
Dans cette perspective, il invite la relève artistique de la métropole à exploiter ses talents dans la langue qui lui chante. Son discours est très inspirant pour le Montréal de demain qui s’annonce plus métissé que jamais!
L’influence du battlerap dans l’univers du rap queb
Étant cofondateur des désormais mythiques WordUp! Battles, FiligraNn intervient dans la conférence pour souligner et commenter l’influence du battlerap dans la sphère plus large du rap québécois. Pour lui, le battlerap est comme un ovni qui est venu se poser sur la planète du rap queb pour en changer l’écosystème à tout jamais.
Fili y voit un paquet de points positifs. Il déblatère notamment sur l’élément communautaire qui s’est bâti autour des évènements WordUp! Ceux-ci ont créé de nouveaux liens entre les fans, allant même jusqu’à former des alliances au sein du rap queb: le groupe Dead Obies s’est notamment incarné dans sa forme finale grâce aux évènements WUB.
Une place considérable a été faite pour débattre des propos parfois homophobes et sexistes qui se manifestent dans certains battles. Le fait que ces propos soient confrontés aux internautes ouvre une fenêtre de dialogue sur ces débats vers un changement progressif d’idéologie. Comme quoi, même le négatif peut tranquillement se métamorphoser en quelque chose de positif!
L’impact du WUB est indéniable. La discussion laisse planer le fait que la ligue a toujours de la place pour évoluer et pourrait éventuellement expérimenter sous différentes formes. À suivre!
La relation du rap queb avec les médias
Errant comme un chien errant dans le monde médiatique culturel depuis déjà un bon moment, le pertinent et très impliqué Riff Tabaracci vient présenter et commenter les rapports entretenus entre le rap queb et les médias locaux à travers les époques (tout en prenant bien soin de plugger les Nouveaux Prophètes, bien entendu.)
Au départ, les médias se sont étonnés de l’existence du rap chez nous et ont contribué aux succès retentissants d’artistes comme Dubmatique et KC LMNOP dans ce qu’on appelle «l’âge d’or» du rap queb (1997 à 2000). La lune de miel aura été de courte durée puisqu’au tournant du millénaire, la forte visibilité s’est estompée et le rap local a dû se tourner vers ses propres plateformes web indépendantes pour se promouvoir: HHQC, broadbeat, 33MAG, hiphopfranco, etc.
À partir de 2005, le groupe rap champ gauche Omnikrom a changé l’approche pour aller solliciter par lui-même les médias traditionnels, les blogues et les radios universitaires pour rejoindre le public. Ils sont passés du rejet de leurs pairs sur les plateformes hip-hop à la présentation d’un spectacle sold out au Metropolis. Une technique plus professionnelle qui aura clairement changé la game!
D’une certaine manière, des artistes actuels comme LLA et Alaclair profitent désormais de ces portes ouvertes par Omnikrom, même si certains autres tirent très bien leur épingle du jeu sans quelconque attention médiatique (allo Sir Path!). Les médias généralistes s’attardent présentement au (faux) débat entourant le franglais. Ceux-ci répondent à des «phénomènes». Un beau tour d’horizon!
La conférence aura été fort intéressante, informative et plutôt diversifiée dans ses angles de discussions. Le tout aura été parsemé de questions, de pistes de réflexions et de shoutouts. En guise de conclusion, on échange à savoir si le rap queb devrait entreprendre davantage de démarches pour faire partie de la culture populaire ou s’il devrait rester dans sa marge underground pour se préserver dans son écosystème d’origine. Matière à réflexion pour les heads dans la pièce!
La formule conférence serait définitivement une avenue intéressante à revisiter éventuellement. On remet ça à la Grosse Semaine 2017?
La Grosse Semaine et ses activités diverses se poursuivent jusqu’au 7 août un peu partout sur l’île de Montréal!