Il faut se le dire, l’audace du mélomane n’a d’égale que celle des artisans de la scène qui poussent les attentes un peu plus loin. Quand un trio de jazz progressif japonais vient jouer dans le cadre de Montréal en lumière, c’est bien d’aller les voir. Par contre, on peut aussi prendre leur tournée canadienne à son point de départ et partir de la métropole pour aller les voir un mardi soir à Saint-Hyacinthe. Feu à Volonté était sur place, grâce à la généreuse participation de l’autobus 200 dont le lecteur de billets était brisé.
La formation de jazz qui joue avec les conventions du rock, du post-rock et du progressif, Mouse On The Keys, est en tournée canadienne et commence sa virée au Québec dans l’ancienne capitale du rock ‘n’ roll. Pour continuer dans l’incongruité, elle passe aussi par Sherbrooke, Québec et Jonquière avant de s’attaquer au public montréalais. Encore, on dit «tournée canadienne», mais au-delà des frontières de la province, la formation n’a joué qu’à Toronto, Hamilton et Ottawa.
L’arrivée à Saint-Hyacinthe se fait sans trop de mal et Le Zaricot se trouve à environ douze pas du terminus d’autobus. Si celui-ci est encore gratuit la prochaine fois, j’ajouterai cette info à mon carnet d’astuces de pro pour voyageurs en terres maskoutaines. L’autre astuce est la suivante: depuis quelque temps, le café-bar offre une boisson chaude gratuite par jour par étudiant-e sur présentation d’une carte étudiante. L’offre n’est pas admissible pour les cafés alcoolisés (7 $), mais il n’y a pas de règlement entourant la combinaison d’un latté (gratuit selon les conditions qui s’appliquent) et d’un shooter de fort (3,50 $). Ça doit être pour ça que les propriétaires étaient nommés pour la meilleure salle de l’année au GAMIQ.
Une fois parti grâce à cette astuce de pro, je suis paré pour une soirée forte en expérimentations. En première partie, le Hébert-Leblanc Duo présente son matériel très exclusif. «La chanson qu’on vient de jouer n’a pas de nom et la prochaine non plus», de déclarer le guitariste Jean-Michel Leblanc. Ce dernier, doublé par le batteur Frédéric Hébert, a présenté quelques pièces d’improvisation jazz, touchant beaucoup à des influences midwest emo, voire math rock. Le jeu guitaristique cherche un côté cru et mordant qu’on associe peu aux fake books de ce monde, mais la batterie reste foncièrement dans cette esthétique. L’équilibre est intéressant et déroge quand même de ce que les deux musiciens nous montrent dans leur autre formation, Citizens.
L’improvisation étant ce qu’elle est, certaines parties sont un peu nébuleuses, mais les idées sont fortes et le talent est bien présent. Hébert prend le micro pour indiquer au public que, puisqu’ils improvisent, ça peut sembler un peu bizarre. Il faut quand même se rappeler à qui on s’adresse: des gens venus voir un trio de jazz prog japonais, un mardi soir, à St-Hyacinthe. On n’est pas à une bizarrerie près. En plus, la performance est bonne.
Les lumières se rallument un peu, le temps de prendre quelques consommations de plus, puis s’éteignent complètement pour laisser place au trio-de-cinq-membres qu’est Mouse On The Keys. Cinq membres puisque la formation est doublée par un projectionniste et par la trompettiste Josiane Rouette.
La formation est impressionnante, les projections sont ahurissantes, mais, hormis une pièce qui pourrait être dans une vidéo d’introduction au logiciel Windows 95, les titres se mélangent et se ressemblent. Cependant, le spectacle ne se joue pas nécessairement dans les vers d’oreille, mais plutôt dans la versatilité et la qualité technique des interprètes. On ne retient aucun hymne. Est-ce le but? Rien n’est moins sûr. Est-ce qu’on regrette le détour? Bien sûr que non.
Une tournée qui tient d’une bizarrerie sans nom, mais qui fait un immense bien au monde culturel de la province. Non, les artistes internationaux ne sont pas réservés à Québec et à Montréal. Oui, le public y était. Abondant, pour une salle éloignée des grands centres urbains un soir de semaine.
Mouse On The Keys sera de passage à Montréal en lumière le 18 février prochain. Tant mieux pour la métropole. Comme les humoristes, ils auront fait un excellent rodage en région avant leur rentrée montréalaise.