« Le Québec est un pays, Éric est son rock. » Ces célèbres mots de Pierre-Karl Péladeau me traversaient l’esprit à vive allure alors que j’entrais dans le Métropolis le samedi 20 juin pour assister à mon dernier concert de la vingt-septième édition des Francofolies.

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Voir un spectacle d’Éric Lapointe, un artiste ayant soutenu ouvertement l’actuel chef du Parti Québécoisdans la salle même où un attentat a été mené contre Pauline Marois lors de son élection m’apparaît chargé de sens. Une soirée qui sera riche en émotions et où, peut-être, le chanteur se gardera d’interpréter Loadé comme un gun, par bon goût.

Mes attentes sont claires : en raison du soutien politique offert par Éric et le regain pour la souveraineté à tout prix depuis l’élection de Péladeau, le décès de Parizeau et l’appel de la fin des exils par Aussant, ce concert m’apparaissait comme une mascarade pour cacher un sommet des Jeunes Péquistes. Ce que j’y ai trouvé m’a beaucoup plus bouleversé. On n’y prônait pas l’indépendance du Québec, mais bien celle des goûts et des pratiques musicales.

Travailler pour Feu à Volonté me permet de voir quelques spectacles et j’ai une propension pour les petites salles et les billets à moins de 15$. Ce faisant, je n’ai jamais vraiment réalisé qu’il existe des codes, des us et des coutumes propres au fait de faire partie d’un public. De fait, les amateurs de concerts auraient tendance à juger les gens n’ayant pas bien intégré les comportements propres à leur sous-culture.

Or, assister au concert d’Éric m’a fait réaliser que je suis un snob et que, dans la vie, c’est correct de ne pas voir souvent de spectacles. D’autant plus que si le spectateur paie toujours 50$, le prix des billets pour entrer au Métropolis samedi, il est normal qu’il ne sorte pas beaucoup voir de prestations musicales. Et s’ils ont qu’à en choisir un, ce sera évidemment Lapointe. S’il a bien une force, celui-là, c’est d’insuffler à son public une véritable volonté de puissance. C’est de synthétiser la nature dionysiaque de la musique. Un rock nietzschéen à l’état pur relevant d’un véritable tour de force.

À ce moment-là, réalisai-je, tout devient correct.

C’est correct de commencer à crier le nom de son héros du rock quinze minutes avant l’heure affichée sur le billet.

C’est correct de rêver de faire du bodysurfing comme on rêve de partir faire le tour du monde en voilier; c’est une pratique qui semble banale pour l’aborigène de la scène, mais si exotique pour les spectateurs ponctuels.

C’est correct d’accueillir Gazoline, qui ouvrait pour le prince rockeur, en les huant et de scander « ÉRIC! ÉRIC! ÉRIC! » pendant l’entièreté de leur performance. « Ça ne sera pas long! » ont été les premiers mots de Xavier Dufour Thériault en entrant sur scène, juste avant d’entamer la pièce Du Feu. Une performance précise mais toujours en négociation avec la foule qui savait ce qu’elle voulait. À 50$ le billet, le public n’a pas trouvé de raison d’attendre leur Éric.

C’est correct de s’exciter pour les techniciens de scène qui installent des micros. Quand on est habitués d’écouter des chansons enregistrées, la musique est immédiate, on n’a pas besoin du brouhaha technique. C’est inhabituel de patienter. Mais ça donne le temps aux spectateurs de se ruer vers les Molson Canadian et les rhums and cokes. Boisson de choix pour un spectacle d’un coach de La Voix souverainiste; entre Cuba Libre et Québec libre, il n’y a qu’un pas.

Arrive finalement l’heure de grâce où le roi Lapointe se présente. Pendant deux heures, le rockeur interprète tube après tube. L’ordre des pièces ressemble curieusement à celui de son concert extérieur aux Francofolies de l’année avant, hormis les quelques interventions de Rosa Laricchiuta, finaliste de l’équipe d’Éric à La Voix 3.

C’est correct de chanter à tue-tête toutes les paroles de chansons de son artiste favori. Entendre le Métropolis au grand complet scander « Oui! Vive le cul! » pendant Tendre Fesse, ça a quelque chose de surréaliste et de satisfaisant.

C’est correct de jouer très fort. Le volume sonore est tellement élevé que le son de la guitare de Stéphane Dufour se perd et nous offre la douce illusion qu’il est réellement bon guitariste. À moins que son désir ne soit d’ajouter une couleur noise au son d’Éric Lapointe. Dans une grande volonté de démocratisation de la musique, Dufour est alors un pionnier.

Après de nombreux classiques, allant de N’importe quoi au Boys Blues Band en passant par Loadé comme un gun (qu’il aura finalement osé), je quitte le Métropolis avec les oreilles bourdonnantes et, surtout, de grands questionnements sur mon écoute en général.

On plaint la musique classique d’être trop codifiée et froide pour le public, mais je réalise que le rock le devient de plus en plus. Il faut libérer ce genre et le rendre au peuple. Donner le droit aux casquettes, au faux bronzage et aux « l’gros » de revendiquer une place dans le monde musical québécois. C’est ce qu’Éric Lapointe propose. Et comme grand libérateur, il est bel et bien un élève de son mentor Pierre Bourgault.

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