Il y a Karkwa, fameux quintette rock québécois. Il y a son chanteur, Louis-Jean Cormier. Il a réalisé les deux albums des Douze Hommes Rapaillés, ainsi que le premier album de Lisa Leblanc. Il est guitariste à temps partiel chez Vincent Vallières, en plus d’être auteur-compositeur-interprète tentant l’aventure solo.

Puis, il y a François Lafontaine, claviériste de Karkwa au repos, copain et réalisateur des deux albums de Marie-Pierre Arthur, collaborateur de Galaxie et de Gros Mené, et plus récemment, réalisateur du nouveau groupe indie pop-rock québécois, FORÊT.

Ça en dit long sur l’univers musical autour duquel gravitent les musicophiles québécois depuis quelques années. Ce même noyau « karkwaesque » se retrouve dans à peu près toutes les productions musicales alternatives depuis au moins cinq ans, qui correspond à la date de l’éclosion de Karkwa sur la grande scène musicale québécoise.

C’est sans compter la récurrente présence des musiciens de Patrick Watson, tels que Simon Angell, multi-instrumentiste pour Thus : Owls et Elisapie Isaac, et Robbie Kuster, que l’on retrouve justement à la batterie sur ce FORÊT.

Vous voyez où je veux en venir. C’est que cette relation, presque incestueuse, entre musiciens majoritairement montréalais, du Plateau ou du Mile-End, en est venue à avoir un surnom dans le milieu : on en parle comme de la clique « karkwatson ».

Il n’y a pas que moi qui le dis. Fred Fortin, auteur-compositeur-interprète et une des têtes pensantes de Gros Mené, un des grands groupes rock de l’heure au Québec, avouait à La Presse en octobre 2012 qu’« il y a un format français au Québec en ce moment. Tout le monde se dirige dans la même direction : le folk ou l’électro-pop ».

Ce n’est pas un problème en soi, surtout que tous les artistes qui se fondent dans le moule sont pour la plupart d’excellents musiciens, qui réussissent à tirer leur épingle du jeu en se distinguant d’une certaine façon. Mais la formule reste la même : de la pop-rock cérébrale, bien ficelée, dans laquelle on flotte dans des ambiances envoûtantes, atmosphériques. Il y a de longs crescendo et des descentes abruptes, des changements de rythmes incongrus. On se sert d’échantillons numériques, souvent créés à partir des claviers de marque Nord, réputé dans le milieu et utilisé à outrance. C’est une bonne formule en tant que telle, mais c’en est une utilisée abondamment.

Pensez à Alex Nevsky, Alexandre Désilets, David Giguère, et autres Hôtel Morphée. Il suffit de passer quelques soirées dans des boîtes à chansons huppées de Montréal et vous découvrirez d’autres émules de Karkwa ou de Daniel Bélanger.

Notez qu’il ne s’agit pas d’une plainte, ici, mais bien d’un constat. Je suis le premier à poser mes oreilles et mon attention sur la sortie d’un nouveau disque issu de ces contrées musicales. Néanmoins, je suis de l’avis que le style commence à s’essouffler, à manquer d’originalité.

C’est d’ailleurs une des raisons qui m’a fait pousser un soupir lorsque j’ai eu vent pour la première fois d’un projet, coréalisé par François Lafontaine, qui, selon le groupe lui-même, pourrait « s’apparenter aux démarches de Tame Impala, Grizzly Bear, ou encore du Portishead dernière cuvée ».

Alain Brunet, journaliste à La Presse, utilise les mots justes pour décrire littéralement ce soupir, sur son blogue : « [François Lafontaine] fait preuve d’une vision musicale tellement typée qu’elle est désormais constituante de l’idée qu’on se fait du son indie francophone québécois ».

Toutefois, malgré mes premières appréhensions, je dois dire qu’il s’agit d’un disque de très grande qualité. Ce FORÊT est construit autour de la chanteuse Émilie Laforest et de Joseph Marchand, tous deux inspirés de la poésie de Kim Doré. Cette dernière signe d’ailleurs quelques textes sur l’album éponyme du duo, en compagnie de Pierre Lapointe, ce qui consiste en une des forces du compact. La plupart des artistes nommés plus haut se targuent d’offrir des paroles différentes, ingénieuses, mais finissent souvent par tomber à plat, de par leur abus de métaphores. Chez FORÊT, c’est littéraire sans être transparent : «… ton silence a parlé / il a presque tout dit / les mots ravalés / restent pris et retombent / sous la pluie…»

Ce qui me semblait n’être au départ qu’un autre fruit de l’inspiration « karwatson », sans autonomie musicale, devient finalement une production de haute couture, qui se distingue efficacement de son créneau presque familial. Ne soyez pas surpris si FORÊT connaît un grand succès critique et populaire.

Mais je réitère : il est grand temps que la musique contemporaine québécoise se sorte de ce carcan et trouve une autre façon d’innover. Ça commence à sentir le réchauffé.

Pour écouter l’album de FORÊT:

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