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Lesser Evil

Arbutus Records
Canada
Note: 7/10

 

C’est mardi que sortait Lesser Evil, le premier LP du montréalais Airick Woodhead, baptisé Doldrums, distribué par Arbutus Records. L’album, au contenu non sans intérêt, mais tout de même assez déconstruit et flou, est, je pense, une bonne occasion de se poser certaines questions sur la relève musicale au niveau de la musique électronique.

En effet, entièrement enregistré sur l’ordinateur portable de sa bonne amie Grimes, Lesser Evil doit tout d’abord, avant d’être critiqué et jugé de façon objective, être analysé comme une représentation assez juste de l’émergence de certaines tendances, désirs et besoins créatifs chez beaucoup de jeunes créateurs. Un  pastiche de l’arc-en-ciel sonore contemporain peut-être, mais qui en dit long sur l’état actuel du bedroom producer, du musicien indépendant émergent.

Alors qu’il y a quelques années seulement le médium de la musique électronique était souvent adopté, par le musicien autodidacte y voyant une façon facile et peu coûteuse d’émuler et de concurrencer les sonorités commerciales, pensons seulement aux «self-made boys» Justice et compagnie, un changement semble être en train de s’opérer. Sur Lesser Evil, tout comme sur l’excellent blackisbeautiful de Hype Williams pour ne nommer qu’eux, on n’utilise pas la technologie électronique pour soigner la voix (autotunes ou correcteur de pitch surutilisés) jusqu’à ce qu’elle soit presque dénaturée, par exemple, on semble plutôt faire exprès de fausser, d’exploiter les imperfections vocales des performeurs. On ne travaille pas non plus avec excès chaque synthétiseur et chaque percussion (abus d’égalisateurs et de compresseurs) dans le but de créer un tout plus léché qu’intéressant, on encourage plutôt la cacophonie et le désordre.

On semble aussi prendre un malin plaisir à jouer certaines lignes ou à placer les percussions légèrement ou radicalement hors tempo alors qu’il est extrêmement facile de quantifier le tout, bon musicien ou pas, via les logiciels de composition électronique. On pense par exemple à l’ensemble de la pièce Golden Calf sur Lesser Evil où percussions et synthétiseurs semblent en constante opposition rythmique, ou bien à l’album Swim de Caribou qui est l’un des premiers albums ayant été une réussite commerciale à avoir exploité la dysfonctionnalité volontaire de ses divers protagonistes sonores. Il semble donc y avoir un désir de rejeter cette technologie, peut-être trop performante, surtout trop accessible, histoire de créer un univers sonore plus imparfait, mais probablement plus humain.

La couverture de Lesser Evil en dit aussi long sur les intentions de Doldrums. Le cliché montrant tout simplement l’écran brisé du portable de Woodhand symbolise bien ce rejet technologique, ou du moins ce désir d’amoindrir l’effet musicalement normalisant résultant d’outils trop précis, tels que l’ordinateur portable. Tout comme Hype Williams et Micachu & The Shapes, qui semblent avoir un penchant pour les méthodes d’enregistrement volontairement imparfaites, Doldrums semble lui aussi vouloir s’éloigner de l’omniprésente perfection de la sonorité commerciale. Parlant d’ordinateur portable, Wire parle dans son article Streamlined Operations de l’inévitable mort du band traditionnel évoquant plusieurs raisons économiques et technologiques. Ici, je pense qu’il est même adéquat de parler de mort du studio puisque Woodhand a en effet choisi d’enregistrer l’entièreté des pièces de Lesser Evil via le portable de son amie Grimes, décidant donc non seulement de travailler sans l’aide d’autres humains, mais aussi d’exploiter au minimum la technologie mise à sa disposition.

Je pense cependant qu’il est important de se questionner à savoir si ce minimalisme forcé, ce rejet presque maniéré de la technologie ne sont pas aussi peu authentiques qu’une recherche sonore trop léchée. Alors qu’il y a quelques années seulement, les musiciens électroniques se battaient pour que tous leurs éléments musicaux soient synchronisés, à l’aide de séquenceurs relativement dispendieux à l’époque, un jeune musicien comme Doldrums met tout en œuvre pour dérégler la cadence de ses pistes.

Alors qu’on achetait à l’époque des modules analogues pour purifier et enjoliver le son, modules ayant maintenant leurs équivalents sur la plupart des logiciels de composition sonore, on fait maintenant tout pour contrer la facilité avec laquelle il est possible de produire un son de qualité. Mêmes combats, différents enjeux. Dean Blunt de Hype Williams, lorsqu’interrogé par Ben Beaumont-Thomas du Guardian sur ses méthodes de production répond ainsi : «Why would you want yourself to sound shit on purpose? I don’t understand. I only know how to use tapes, that’s why the music sounds shit.» Avec un personnage aussi absurde et mystérieux que Blunt, il est difficile de vérifier s’il dit vrai. Cependant, pour la plupart des artistes enclins à amoindrir la qualité plastique de leurs productions, des questions d’authenticité et de sincérité méritent d’être soulevées.

C’est justement cette authenticité que je remets en question chez Doldrums qui, sommes toutes, offre un très, très bon premier album avec Lesser Evil. En effet, on entend beaucoup de Grimes, pas mal de Fever Ray et The Knife, Thome York sur Lost in Everyone, on pense à Micachu, un peu de Zola Jesus (qui elle non plus n’a rien révolutionné musicalement) et à la voix cassante de Björk, mais on finit par ne pas savoir qui est vraiment Doldrums. Pour commencer l’album, on nous sert une piste pop 80’s revival, suivie d’une seconde piste aux allures complètement dubstep, la cassure est drastique et assez déconcertante. On aura plus tard droit à une pièce aux sonorités techno dark, puis à une piste planante qui rappelle bien le rock vintage des années soixante.

Jusqu’à la toute fin, l’album ne semble jamais trouver son unicité, les morceaux se succédant, mais ne se rejoignant jamais. Cela fait malheureusement en sorte qu’il est très difficile de s’attacher à l’ensemble de l’œuvre, malgré le fait, qu’au final, l’écoute individuelle de chaque pièce soit très appréciable. J’ai eu beau écouter l’album une bonne dizaine de fois, ne me demandez pas de vous chanter une pièce du LP, car je ne m’en rappelle déjà plus.

Cependant, il reste important de noter que cette impression de distance face à la musique de Doldrums ne peut pas être le seul élément sur lequel ce base cette critique, car, comme mentionné un peu plus haut, beaucoup de pièces restent incontournables. Anomaly est un véritable bijou, extrêmement catchy sans être convenue, Sunrise, un court, mais très apprécié petit bonbon pop, Holographic Sandcastles, un astucieux mélange entre sonorités rappelant Boards Of Canada et l’aspect plus tribal et mystique du band électro-pop Fever Ray.

Finalement, les trois dernières pièces de l’album, où l’auteur semble tranquillement s’apaiser et offrir quelques pièces un peu moins trash, plus posées, sont aussi très appréciées. Une écoute malheureusement peu mémorable, pas parce que le contenu de l’album est de piètre qualité, plutôt parce que le tout est assez décousu, et définitivement parce que l’auteur se cherche encore une identité musicale. Assez normal lorsqu’on sort son premier album.

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