Charlotte Brousseau

Boucles

Indépendant

*** ½

Après huit mois de pandémie, c’est vraiment bizarre. Ce n’est plus seulement d’écouter de la musique live en salle qui te manque. Aujourd’hui, la possibilité de te faire renverser de la bière dessus par quelqu’un qui ne sait pas regarder devant lui t’apparaît aussi comme un moment de vie passée vraiment chouette. Mais, avec le début de l’hiver, c’est encore le temps de trouver toutes les petites choses qui, en plus d’être approuvées par la santé publique, rendent également la vie plus jolie. De ce point de vue, Boucles, le premier EP de Charlotte Brousseau est une sacrée réussite.

Passée par l’École nationale de la chanson, cette nouvelle autrice-compositrice-interprète de la ville de Québec explique le titre de son premier opus par la manière dont la musique vient à elle, d’abord sous forme de boucles. Selon ses mots, c’est un «retour aux sources après une longue exploration, pour repartir de plus belle une fois l’esprit plus clair. Faire une boucle, c’est prendre racine pour mieux se déployer, tirer des leçons pour mieux recommencer».

Au cours de la première vague, la toute première écoute de sa musique m’avait fait l’effet d’une grosse respiration permettant un retour à la sérénité. D’une certaine manière, son projet peut être rapproché de celui du duo de musique lente Saratoga. La démarche de Charlotte m’évoque surtout le court livre, Le sel de la vie, dans lequel l’ethnologue féministe Françoise Héritier s’amuse à lister pêle-mêle l’ensemble « de sensations, de perceptions, d’émotions, de petits plaisirs » qui ne lui enlèveront jamais le goût de la vie «au-delà des occupations, au-delà des sentiments forts, au-delà des engagements politiques et de tous ordres»: bref, elle cherche à saisir l’individu qu’elle est profondément, celle qui ressent et éprouve à la fois comme tout un chacun et comme nul autre tout à fait.

C’est la même quête qui semble animer Charlotte Brousseau dans tous ses projets artistiques. Ça se ressent déjà dans son très beau court-métrage, présenté aux Rendez-vous Québec cinéma en 2019, qui montre, grâce à sa rencontre avec un vieux chauffeur de taxi, qu’au-delà de la singularité des parcours, nous sommes tous formés de La même eau. Son projet musical s’inscrit donc en continuité de ses débuts au cinéma.

Sauf qu’avec son EP, enregistré et réalisé au Pantoum (Jean-Etienne Collin Marcoux, Charlotte Brousseau), Charlotte se consacre intégralement à ce qui la constitue. C’est assez impressionnant de pouvoir se présenter à un auditoire, pour la première fois, d’une façon aussi sensuelle et épurée: c’est toujours l’essence de son rapport au monde et à elle-même qui est décliné sur les cinq chansons.

On commence par J’irai où est explorée sa relation intime avec la rivière Yamaska, lieu apaisant, mais qui lui enseigne aussi la vigilance. On poursuit avec Mouvement et Perle de silence respectivement un pense-bête pour un rapport consciencieux à son propre corps et une observation attentive, presque sous forme de didascalies, d’une inconnue épuisée. Bouclette transcende les trois premiers titres en partant dans une quête expérimentale qui semble transcrire de manière purement sensible sa perception de la vie tout entière. Comme une boucle, enfin, Je cours encore vous attendre (ê-haouc) retourne à l’attachement singulier de Charlotte à la contemplation de la nature, plus précisément à celle des oies noires, ses amies de longue date.

Le tout défile sur des compositions folk très organiques et enveloppantes, en grande majorité guitare-voix, magnifiquement rehaussées d’autres instruments comme la batterie, le vibraphone, les synthés (Jean-Etienne Collin Marcoux), la contrebasse (Olivier Amyot-Ladouceur) ou encore la clarinette (Jean-Daniel Lessard). On se prend à y entendre la nature elle-même, du son de l’eau aux bruits des oies. La voix de Charlotte se balade agréablement au gré du sens de ses écrits très soignés (wow le texte de Perle de silence), jusqu’à se laisser complètement aller. En dehors de quelques-unes des sources d’inspiration revendiquées par Charlotte (Joni Mitchell, Joan Baez), on pense parfois vaguement à la compositrice québécoise Émilie Proulx pour le calme et la maturité de la voix, voire à la chanteuse française Camille pour l’écriture en laisser-aller de certains titres de son album OUÏÏ.

Les 17 minutes de cet EP méditatif glissent rapidement. Sans même s’en rendre compte, on est emportés dans plusieurs écoutes en boucle de ces titres aux structures favorisant la fluidité. On écoute, on voit, on hume, on touche, on ressent beaucoup. Surtout, on parvient, à notre tour, à la même conclusion: on est décidément faits de la même eau et elle est remplie d’essentielles petites choses. Pour certains d’entre nous, partir à leur recherche peut bien mettre K.O. l’impact d’une pandémie sur notre qualité de vie. Pour ceux qui sont beaucoup moins chanceux actuellement, le projet de Charlotte constituera peut-être un petit espace précieux de calme et de douceur. 

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