Pendant le souper avec mon coloc, on jase de nos plans pour la soirée qui s’en vient. Tout d’un coup, je réalise que c’est mon tout premier Taverne Tour. Ça me paraît étrange tant j’ai la sensation parfois de toujours avoir vécu au Québec. C’est sur ce décalage avec la réalité que je quitte la maison pour aller au show de Constance et de Mélanie Venditti, programmés pour le premier soir du festival.
Ce ressenti particulier me reste à l’esprit tout le long du chemin qui me sépare du Quai des Brumes. Je prends conscience aussi que l’année passée, à peu près à la même époque, je mettais les pieds pour la première fois dans ce bar de la rue Saint-Denis. On me l’avait vaguement recommandé pour me réconcilier avec le Plateau. Ça a comme plutôt bien marché puisque c’est devenu un repaire dans une période où je commençais justement à en manquer, de repères.
Adossée à l’un de ses murs boisés, c’est de ça dont on parle beaucoup avant le show avec mon copain Gab qui, lui, ne vient pas si souvent. Des gens de tous les âges et de tous les horizons discutent joyeusement autour de nous. Je tente de lui expliquer ma relation avec le Quai, cette adresse comme un vieil ami de chez qui je sors toujours avec les choses remises à la bonne place et qui me permet de continuer d’avancer. Il me demande si j’ai déjà eu ce genre d’histoire avec d’autres lieux. Je réponds oui immédiatement. Je lui cite quelques exemples, mais au fond de moi, je ne suis pas très convaincue par ce que j’avance. Faut dire que ça ne doit pas être si commun de se sentir aussi proche d’un endroit, sans même songer, comme l’a évoqué Mélanie, aux gens qui y sont, aux serveurs et aux boissons servies (avec beaucoup de gin et un peu moins de pamplemousse). La place elle-même a quelque chose de captivant.
Cet amour si singulier du Quai, depuis trente-quatre ans, on est beaucoup à le partager. Il possède autant d’histoires que de personnes qui foulent son sol, que d’artistes hétéroclites qui y jouent, y exposent ou y déclament des vers, que de saisons, de peines et de joies qu’il voit passer. Il est toujours très différent et à la fois fidèle à lui-même. Ce soir, en tout cas, il est entre les mains de gens qui vont en prendre grand soin: Guillaume Guibeault (alias Constance), Mélanie Venditti, Etienne Dupré et Mandela Coupal-Dalgleish.
Dans l’esprit de ce lieu mythique, ils nous ont réservé une soirée spéciale… et pas si spéciale à la fois. Comme Guillaume et Mélanie le rappellent durant le show, ils jouent tous ensemble depuis longtemps. Et c’est encore à quatre qu’ils passeront toute la soirée sur scène, d’abord avec les chansons de Guillaume, ensuite avec celles de Mélanie.
La première partie du concert est donc réservée à Constance, le projet électro-folk romantique de Guillaume que l’on peut apprécier à la maison grâce à un EP depuis 2015. Ces compositions sont encore plus belles live, évoquant tantôt Sufjan Stevens, tantôt David Giguère. La magie survient grâce à d’essentiels petits détails. Évidemment, la beauté des quelques instants de thérémine joués par Mélanie en font partie. Mais surtout, le plaisir qu’on a de voir le batteur ressentir autant la musique quand il joue, la joie de voir Guillaume parvenir à s’approprier de nouveau l’espace grâce à la bienveillance qui règne durant cette soirée, la sérénité qui plane parmi le public et l’excitation d’entendre du nouveau matériel très prometteur, dont une très belle chanson d’amour terminée le matin même et qui assure une transition en douceur vers le second temps de la nuit.
Louangées de tous, la sensibilité et la musique de Mélanie, plus rock, s’enchaînent à merveille. Lorsqu’elle a fait son apparition en 2016, certains ont parlé de Brigitte Fontaine, de Ferland ou encore de Barbara. Moi, je ne parviens à penser à personne d’autre qu’à Laetitia Sadier (Stereolab): la solidité, l’indépendance, l’audace, la voix et même la gestuelle. Le show est ici plus rodé, même si on a droit à quelques expérimentations, improvisations et digressions sur le mezcal. Je suis très attachée à la qualité des textes, mais je dois l’avouer, j’ai de la difficulté à ne pas laisser le flot des mélodies et sa voix m’emporter complètement durant le concert. Mes larmes coulent malgré tout quand j’entends un passage qui évoque plus explicitement sa maman. Elles traduisent moins une souffrance que mes cicatrices qui continuent de s’apaiser à mesure que je découvre l’univers artistique de Mélanie.
Bref, pas mal de cœurs émus et d’yeux brillants ont été aperçus. Le Quai à son meilleur.