Pour le 33e anniversaire de Coup de Coeur francophone, les programmateurs ont cru bon nous offrir une soirée rendant hommage à la musique francophone sous toutes ses formes, des années 90 jusqu’à aujourd’hui. Ce pèlerinage en terres connues se divise en deux arrêts bien distincts. Avant de voyager dans le futur avec KNLO et Robert Nelson au Ausgang, on retourne d’abord dans le passé puisque se déroule toute une veillée d’antan dans le Quartier des Spectacles. Le show sous le signe de la nostalgie rassemble trois groupes phares de la scène ROCK au Québec: Vilain Pingouin, Noir Silence et les Frères à Ch’val.
Maaaaaalaaaaaaadeeeeeeeee! N’est-ce pas? On prend le train (de métro) sans hésiter pour se rendre au Club Soda en espérant qu’il y ait une petite épluchette de bananes en fin de soirée. Ça aurait été difficile de trouver de meilleurs ambassadeurs de l’époque où l’on pouvait tout dire sans que ça choque personne.
C’est sous la bannière Légion 90 que ces trois groupes phares sont rassemblés et le spectacle commence assez tôt puisqu’on apprend entre les branches que Rudy Caya doit se coucher tôt maintenant. Malheureusement, on manque tout du spectacle de Vilain Pingouin sauf la meilleure partie, la séance d’autographes à la table de merch. Certains fans en ressortiront même marqués à jamais.
En entrant dans la salle, on est tout droit plongés dans les années 90. L’odeur de l’endroit rappelle l’odeur du bar à l’intérieur duquel on fumait des clopes en vidant des quilles de Laurentide entre chums. Les chaînes retenant les portefeuilles sont légion et le cuir est à l’honneur dans cette foule aux cheveux blancs ou teints. Le public étant assez âgé, on dénote rapidement un grand manque de chaises dans la salle par rapport au nombre de gens qui veulent ou qui devraient s’asseoir. De plus, les gens sont soit sourds ou portent des bouchons donc tout le monde parle fort, même durant l’entracte.
Le présentateur de la soirée, tout de cuir vêtu (étonnant!), nous annonce l’arrivée prochaine de Noir Silence et il paraitrait qu’ils sont ben contents d’être là pis que «ça va se démontrer solide».
Alors que Noir Silence entame sa première pièce, on est tout de suite frappés par les propos de la chanson. Les paroles nous rappellent qu’il n’y avait rien de mal de chanter que sa «nouvelle prof remplie bien son décolleté» à l’époque où le PQ était au top. On court d’ailleurs un risque constant lorsque vient le temps de prendre des photos et on craint que certains spectateurs nous attendent au rack à bécyk à la fin de la soirée.
«On vient tout juste de lancer notre première compilation qui regroupe nos moins pires chansons. On va vous en faire une qui parle de boisson pis de party!» lance Jean-François Dubé, humble malgré lui. Y a-t-il y a beaucoup de leurs chansons qui ne parlent pas de boisson ou de party? La question se pose sauf qu’on manque de temps pour vérifier. Le groupe en profite aussi pour remercier Carlos, son gérant des vingt dernières années: «c’est grâce à lui si on est encore ensemble… pis qu’on n’a pas 200 enfants partout au Québec. Merci Carlos!» Le tout se termine sur ce qui est possiblement un des plus grands malaises de cette soirée lorsque JF nous demande de répéter après lui: «Check mes muuuuuscles, j’ai un gros pick-up!» avant de conclure que «ça marche pas mal plus en région cette phrase-là…» C’est un peu ça aussi notre Québec.
Pendant l’entracte, on en profite pour aller traîner dans le coin des tables de marchandises plutôt que d’attendre désespérément le début des Frères à Ch’val. En regardant tour à tour les t-shirts offerts aux trois tables de merch, il est possible de croire que les groupes ont eu un maudit bon deal sur un lot de t-shirts noirs Gildan et / ou que c’est le même gars qui s’occupe d’imprimer les t-shirts.
L’attente tire à sa fin et le maître de cérémonie vient nous servir un avertissement avant les Frères à Ch’val. Peut-être est-ce un trigger warning à cause des propos controversés de la pièce J’aime mon voisin, mais il n’en est rien. Il nous demande plutôt: d’«oublier le côté humoristique des Frères. Parce qu’on vit à une époque où on est tous divisés, le message des Frères est tout autre: c’est d’être capable de vivre ensemble pis de faire le party!» On aime-tu ça faire le party au Québec? Et les Frères sont là pour nous le rappeler parce que certaines habitudes restent immuables dans notre Québec actuel. Les Frères à Ch’val embarquent finalement sur le stage et débutent leur spectacle avec une nouvelle chanson qui parle de la température, encore une habitude qui n’a pas changé dans notre bon Québec. Le look des Frères sur scène se rapproche du look des vendeurs de beedies au Mont-Royal le dimanche après-midi. L’un des membres ressemble quant à lui au beau-frère de Slash qui aurait opté pour le banjo plutôt que pour la guit’ électrique.
Les années 1990, c’étaient ben le fun, mais il est grand temps de revenir à notre époque et de cesser de vivre dans le passé. Direction, le Ausgang. Le transport en commun nous semble la meilleure solution afin de voyager adéquatement dans le temps. Rien de mieux qu’une balade en Azur dans les vieux tunnels de métro mal aérés pour faire le lien entre le passé et le présent. Le chantier de construction qui nous attend à notre sortie du métro est un autre douloureux signe que plus ça change, plus c’est pareil, notre Québec.
L’arrivée dans les années 2000 est brusque alors qu’on est confrontés à un line-up à l’entrée nous menant à un deuxième line-up pour le vestiaire nous menant à un troisième line-up au bar. Notre patience est mise à rude épreuve sauf qu’on en profite pour écouter la performance de Robert Nelson d’une oreille attentive. Le nouveau spectacle du président du Bas-Canada se trouve à mi-chemin entre une conférence de croissance personnelle et une soirée de contes avec Fred Pellerin, le tout entrecoupé de chansons et de bruits de fusils. Une formule que certains fans adorent pendant que d’autres restent sur leur faim et s’impatientent: «OK, LÀ C’T’ASSEZ! On veut des tounes!». Cette division dans la foule n’est pas sans rappeler le Québec en 1995: déchiré à cause du référendum. Il s’agit probablement d’un excès de nostalgie de notre part, une nostalgie ravivée par notre passage dans les années 90.
Accompagné sur scène par Caro et Vlooper, KNLO nous offre les pièces de son dernier opus, Sainte-Foy, et en profite pour nous lancer certains de ses styles gratuits (freestyle) qui ont fait sa renommée. La température dans la salle grimpe aussi rapidement que le niveau des eaux dans les dernières années et encore, un questionnement nous frappe. Si on n’avait pas autant tripé sur nos picks-ups dans les années 90, est-ce qu’on en serait là aujourd’hui? KNLO s’empare au même moment d’une bouteille d’eau en plastique et déclare: «Loud prend à peu près 49 gorgées pendant un show, j’peux ben en prendre juste une.» Ça nous déçoit de voir qu’il ne s’agit pas d’une bouteille réutilisable puisqu’on imaginait KNLO avoir une conscience environnementale sans failles, le temps ayant fait avancer les mentalités. Mais non! La soirée se poursuit malgré les douloureux souvenirs et questionnements qui ont parsemé ce voyage. KNLO et Robert Nelson ferment ce long périple temporel avec La Famille. Pendant ce temps, on se projette dans 30 ans en espérant que les artistes d’aujourd’hui auront grandi avec nous et que l’adage «plus ça change, plus c’est pareil» ne soit plus qu’un lointain souvenir pour notre Québec.