La Maison symphonique de Montréal était sur les champignons magiques, jeudi soir, alors que le mystérieux ancien-nouveau collectif composé de Philippe Brach, Érika Soucy et Fabien Cloutier s’est emparé de la Place des Arts pour une soirée classique/absurde en deux temps.
Dès l’ouverture des portes, le parterre de la Maison symphonique est diverti par un homme en costume de lutte et son portevoix. Parcourant les allées, le personnage remercie un à un les partenaires de l’évènement jusqu’au début du spectacle, s’amusant à faire retentir une sirène de police ici et là.
Les quelque 80 musiciens qui s’échauffent sur la scène se lèvent ensuite pour accueillir le chef d’orchestre Nicolas Ellis ainsi que le trio idéateur de la soirée. Après avoir récité une liste loufoque de ce qu’on pourra voir et ne pas voir lors du spectacle (des MetroStar, du tonnerre et la légalisation du pot, notamment), le groupe invite la foule à se lever pour l’hymne national canadien interprété solennellement par Brach.
BOUM
L’Orchestre de l’Agora dirigé par Nicolas Ellis assure ensuite la première moitié de la représentation, exécutant avec précision Les animaux modèles du compositeur français Francis Poulenc, ainsi que quelques autres classiques de Stravinsky et Ravel, entre autres.
Si la Maison symphonique est pleine, le chœur est quant à lui libéré pour laisser place à des projections de nuages pastel bougeant au rythme de la musique. À l’occasion, de faux éclairs et explosions se synchronisent aux tambours et les animations s’agitent à mesure que les arrangements s’intensifient, donnant parfois des allures de Mordor au chœur enflammé.
Arrivent ensuite Brach et ses deux acolytes en jerseys du Tricolore, invitant la foule à se dégourdir pendant l’entracte avant de repartir en coulisses avec leur ami en maillot de lutte. Jusque là, rien de trop déjanté.
Quelques minutes plus tard, l’auteur-compositeur-interprète est de retour sur scène, accroupi devant l’Orchestre de l’Agora pour mieux apprécier la pièce introductive homonyme de son album Le silence des troupeaux, arborant un charmant chapeau-champignon.
Si l’intégrale de l’album s’enchaine de manière classique, ce sont les 80 musiciens et les projections qui font voyager les spectateurs réunis dans la Maison symphonique. Mettant en vedette des branches à l’esthétique hallucinogène dansant sur un fond rappelant parfois les génériques d’ouverture de Star Wars, le décor s’anime au fil des chansons.
DANG
L’interprétation solide de Brach est interrompue pour une première fois par la poétesse et comédienne Érika Soucy, qui vient réciter quelques lignes pessimistes sur une mélodie de l’Orchestre qui rappelle drôlement celle de No Diggity de Blackstreet. «La poésie sert pu à rien», scande notamment l’auteure dans sa robe à paillettes.
On peut ensuite entendre l’impressionnante voix de Philippe Brach sur un classique de Nat King Cole, avec un romantique coucher de lune en guise de décor. «Y’a-tu des questions avant qu’on poursuive? L’œuf ou la poule? Je vais prendre l’enveloppe», lance l’interprète avant de retrouver sa guitare pour une version simpliste de Pakistan. Sur le mur du fond, on peut admirer des corps humanoïdes difformes flottant de droite à gauche, plus tard remplacés par de luxuriantes branches feuillues.
Une deuxième intervention d’Érika Soucy accompagnée par l’humoriste et metteur en scène Fabien Cloutier met un peu de lumière sur la nature du nom du spectacle. Du moins, en partie.
SANGSUE
Dans les années 1500, les Françaises ayant eu des relations sexuelles hors mariage utilisaient des sangsues pour marquer d’ampoules leurs parois vaginales et simuler leur virginité, selon Fabien Cloutier. Ainsi, les maris voyant du sang lors de la pénétration n’y voyaient que du feu, explique l’humoriste à la foule dubitative. Voilà pour la partie « Sangsue » du spectacle.
Se voulant à la fois engagé, absurde, dans l’air du temps et humoristique, Boum Dang Sangsue! se poursuit sans trop d’excentricités avec une troisième et dernière intervention ironique à saveur écologique. A capella, Cloutier enfile les affirmations: «J’achète pu de Nutella», «J’ai une tondeuse pas de moteur, c’est pour ça que j’ai de l’espoir». Soucy reste quant à elle plus rationnelle: «Au Yémen, c’est un enfant qui meurt aux dix minutes». Pendant ce temps, Brach reste coi. Bref, de quoi faire lever le party.
En guise de finale, une dizaine de jeunes chanteuses se déploient dans le chœur pour accompagner les dernières pièces de l’album sous une pluie de missiles et d’explosions.
Somme toute, les amateurs de cordes, de cuivres et de clins d’oeil absurdes ont été servis, jeudi soir, malgré les enchaînements décousus sans doute dus au manque de préparation de la part de l’indomptable trio. «Ça parait-tu que ça a été monté y’a deux semaines, ce show-là?» a demandé Philippe, après un cue manqué.
Après avoir visionné une vidéo promotionnelle dans laquelle Philippe Brach annonce Boum Dang Sangsue! en grignotant des champignons magiques, je dois avouer que mes attentes étaient élevées en mettant les pieds à la Place des Arts. Sans être pour autant déçue, j’attendais plus de fioritures de la part du braque en chef. Il faut dire que la dernière fois que j’ai vu Philippe Brach, il sortait d’une chrysalide sur la scène du MTelus pour offrir un spectacle de magie-musique déguisé en Mysterio Steve…