feu doux
feu doux
Grosse boîte
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La première histoire est bien connue. Pour la conception sonore de son film Tu dors Nicole, le cinéaste et musicien Stéphane Lafleur demande l’aide de deux musiciens. L’un, Rémi Nadeau-Aubin, se charge des chansons rock interprétées par le groupe du frère de la protagoniste. L’autre, Christophe Lamarche-Ledoux (Organ Mood, Chocolat), prépare les ambiances nocturnes. Le trio créatif a été décoré du prix Jutra de la Meilleure musique originale (ils seront les derniers à recevoir ce prix, d’ailleurs, vu que les successeurs auront un Iris de la Meilleure musique originale).
C’est ce qu’on connait. Puis, tombé des nues, le 23 février, on apprend qu’un épilogue secret s’est glissé dans cette narration. Lamarche et Lafleur s’échangent des pièces et les travaillent chacun de leur côté. Un nouveau projet prend forme sous le nom de feu doux.
Le récit de création peut sembler banal et inutile pour l’appréciation de l’œuvre. Pourtant, le disque homonyme du projet répond aux points névralgiques de cette rencontre créative.
Dans son essence, feu doux est de la musique à écouter d’une oreille. C’est conçu pour être une trame sonore de la sieste, de l’étude, de la concentration. Un bruit blanc glorifié pour certains, un accompagnant joli pour d’autres. Même si les périodes créatives de chacun des projets sont séparées de quelques années, on ne peut s’empêcher de penser que si Organ Mood est la musique des nuits d’éveil de Nicole, feu doux aurait pu être son remède contre l’insomnie. Pour qu’un album puisse accompagner le sommeil, il faut bien que le sommeil soit!
Et par sa nature, qui dépasse l’ambiant et qui tombe dans le fonctionnel, il devient difficile d’évaluer en termes traditionnels cette musique. L’absence de hook et de rythme est non seulement recherchée, mais glorifiée. Il ne se passe pas rien, mais l’œuvre paraît plus fonctionnaliste qu’esthétique. Mais, certes, elle est jolie cette création. Si on veut qu’elle nous accompagne dans un état de conscience second, autant qu’elle soit jolie. Ça lui donne un goût de revenez-y.
Chaque titre, si on est du genre à s’y attarder, rappelle beaucoup plus le sentiment ressenti lors de l’écoute qu’une explication narrative. Ouverture des sentiers trace la voie vers l’expérience auditive. Nous sommes déjà passés par ici, à mi-chemin, rappelle la familiarité du matériel avec lui-même. Nouvelle joie nouvelle présente une série de cadences conclusives, rappel symphonique, mais émises avec délicatesses, comme un chuchotement.
Avons-nous rattrapé les avant-gardistes qui produisent déjà des œuvres strictement fonctionnelles? Qu’au-delà des qualités esthétiques, on évalue l’œuvre à sa capacité à accomplir sa tâche, ici la concentration, le sommeil, la quiétude? Peut-être. Est-ce qu’on est prêts à ça? Peut-être aussi. Ou, du moins, pas tout de suite. Par contre, si la transition se fait lentement, comme le déploiement d’une pièce de feu doux, l’accueil du brasier est moins inquiétant.
L’album est disponible en version numérique et vinyle depuis le 23 février. Une séance d’écoute aura lieu le 28 février à 17 h au Théâtre aux Écuries.