Le rappeur d’Ahuntsic troque les bancs de cuir de la blue Volvo pour ceux d’un 747 à l’occasion de la parution de Une Année Record, son tout premier album solo.

Loud/Photo: Alexandre Demers

Même s’il s’est majoritairement fait connaître en tant que emcee dans les rangs de la populaire formation LLA au cours des dernières années, le rappeur Loud fait mijoter depuis longtemps l’idée de s’exprimer en tant qu’artiste solo sur ses propres projets. En fait, ce premier album en solitaire, il l’avait annoncé en 2010 sans toutefois que ça se concrétise. Fort de cinq années à faire ses classes au sein du trio qui l’a propulsé parmi les artistes les plus en vue du rapjeu local, Loud a renouvelé ses skills et se voit actuellement en position de faire des records puis défaire des records. Un parcours épatant pour un rappeur d’Ahuntsic pour qui la ligne orange semblait tellement longue.

Quelques mois après la parution du EP New Phone, Loud présente donc Une Année Record, son premier album solo sous l’étiquette Joyride Records. On a discuté avec lui le temps d’une entrevue record à travers laquelle on a traité de conspirations canardesques et de son éventuel passage en France (Roch Voisine money!), mais principalement, du projet en tant que tel et de sa genèse.

«It was all a dream…»

Si le premier album solo de Loud paraît actuellement comme une surprise pour un certain lot de ses fans, le projet était en gestation depuis longtemps dans la tête du rappeur. Dès 2010, le emcee s’était attelé à la tâche de livrer un album complet, projet qui s’avérait comme une sorte de finalité professionnelle et artistique dans le game. Finalement, après quelques chansons pas réellement abouties, le tout n’a jamais été près d’être mené à terme. «On a un peu ambitionné en disant qu’on allait faire un album à ce moment-là. Dans le fond, on n’était pas prêt pantoute. Un peu par hasard, on a fait un track avec Lary pis, finalement, c’est devenu ça le focus. C’était une bien meilleure idée de faire LLA à ce moment-là que de faire mon album. C’était pas le bon timing du tout.»

Après avoir marqué le rap québ au fer rouge dès 2012 grâce à la parution de Gullywood, le trio a renchéri et renforcé son statut de game-changer avec les projets Oh Mon Dieu, Blue Volvo et Ondulé. La popularité est indéniable et c’est la consécration lorsqu’ils prennent part au show d’ouverture des Francofolies 2016 sur une Place des Festivals pleine à craquer. À travers tout le succès, Loud savait qu’éventuellement il allait se consacrer à son truc solo. «On a fait ben des shows, des chansons, des projets, etc. J’ai l’impression que si on continuait comme ça, on risquait potentiellement de s’essouffler. Du moins, dans l’angle où on allait. Je trouvais aussi que c’était intéressant d’arrêter pendant qu’on était à notre peak en termes de popularité et de rayonnement. C’était la meilleure manière de lancer une autre histoire après ça.»

Excepté une fois au chalet

C’est finalement en 2017, après cinq glorieuses années à perfectionner sa plume, sa maturité et son éthique de travail au sein de LLA que Loud s’est réellement remis à la tâche d’écrire ce premier projet solo lors d’une retraite dans un chalet. «J’ai commencé à travailler avec Ruffsound et Ajust en février. On n’avait pas nécessairement de chansons, mais on avait des idées et des directions où on comptait aller…»

Histoire de mettre la table pour l’album et de tâter un peu le terrain, le rappeur s’est mis à concocter un EP de son côté de manière très rapide. À la suite de la parution du single 56K sur les internets, la toile s’est rapidement enflammée allant jusqu’à dépasser le million de views. Le phénomène rarissime a sonné l’alarme de la suite des choses. «La réaction à New Phone nous a fait repenser à ce qu’on faisait pour l’album pis ça nous a comme remotivé. Après, on a pretty much recommencé à neuf. Avec Ajust pis Ruff, on a fait venir d’autres producers qui sont venus ajouter des touches particulières à la prod. C’est sûr que ça a teinté le projet final.»

Côté textes, Loud s’est mis à gratter le papier en s’inspirant des vibes du projet et, bien sûr, de thèmes variés qui l’habitent. «C’est sûr que je peux mieux aboutir les réflexions plus personnelles. À la limite, c’est beaucoup plus honnête aussi. C’est pas qu’on n’allait pas là dans LLA, mais c’est qu’il n’y avait pas nécessairement l’espace pour juste élaborer sur ces réflexions-là. Quand tu fais des chansons en duo ou en groupe, y’a des compromis à faire et faut se retrouver à quelque part aussi. Tu peux pas jack une chanson pour en faire un journal intime. C’est sûr que ça me permet d’aller beaucoup plus loin.»

Pochette Une Année Record

L’œuvre en tant que telle

Le fruit de ce long processus prend la forme de Une Année Record, un projet concis, développé et résolument contemporain. Le premier extrait Hell, What a View donne le ton. Au niveau des prods, on dénote une bonne variété de vibes sur l’album. Le tout se situe entre l’idée de base de Loud et des chemins empruntés par les producers « On a fait beaucoup de musique pour en choisir juste dix, contrairement, mettons à LLA où on faisait chaque chanson qu’on produisait. Là, le process était un peu plus différent. C’est sûr que j’ai fait un veto sur celles que je comptais utiliser ou non, mais ça vient quand même de Ajust et de Ruffsound à la base. On en discute et après ils peuvent me conseiller des trucs que j’aurais laissé passer et que, finalement, ils avaient 100% raison. A ce niveau-là, y’a un petit travail de réalisation à trois dans la sélection et de voir ce qui reste ou pas sur l’album.»

Pour l’amateur en manque de précisions qui trouve qu’il manque de credit, Loud précise le tout. «Ajust et Ruff sont présents sur toutes les chansons, ils ont fait la réalisation aussi. Sinon, y a aussi Realmind (qui avait fait 56K) qui est sur plus de la moitié de l’album en co-prod. Son implication est très grande. Y’a un gars qui s’appelle Neo Maestro qui a fait ce qui est la base de la pièce-titre Une Année Record. Y’a aussi Pierre-Luc Rioux qui a fait la base de Toutes les femmes savent danser. Sinon y’a également des musiciens, dont un gars qui joue du piano sur le outro

«T’aimes pas l’real, pour toi, c’est de la radoterie»

Si on se concentre sur les textes de l’album, il y a quelques statements ou références notoires à se mettre sous la dent. On en a soulevé quelques-uns pour l’exercice (ou simplement parce qu’on peut.)

Sur la deuxième pièce, Nouveaux Riches, le principal intéressé se déclare le nouveau padre du rapjeu. Le emcee ayant énormément de respect pour ses prédécesseurs se voit actuellement au sommet de la pyramide. «Ça fait partie de la présentation. C’est du rap. C’est de l’établir clairement pour que ce soit ça la trame narrative, mais oui, j’pense qu’en ce moment, c’est clairement ça qui se passe», souligne-t-il.

Les amateurs de compétition et de beef d’occasion dans le rapgame se régaleront de quelques flèches lyricales tirées à certains emcees. Parmi les plus notoires, on souligne la ligne adressée à Maybe Watson sur la pièce Il Était Moins Une (en réaction à son verse dans Ça que C’tait d’Alaclair Ensemble qui visait son comparse Lary Kidd). Dans l’ère actuelle où la plupart des diss se font de manière subliminale comme le font Kendrick et Big Sean ou encore Drake et Jay Z, on se questionne sur l’importance de nommer. «Ça dépend des contextes. J’pense que dans leur cas, c’est plus fort de ne pas se nommer. D’une certaine manière, c’est du sport et tout le monde a un peu sa compétition. Ç’a toujours été comme ça. C’est plutôt juste pour nourrir la game et la scène. J’pense que ce statement dans l’album c’est juste une manière de mettre le monde en garde. C’est une manière de dire hey, on vous check. C’est super compétitif et c’est ça qui me plait, entre autres, de cette affaire-là. Tant qu’à y aller, on ne vise pas la troisième place.»

Les oreilles ouvertes et réceptives au règne animal ne seront pas en reste à l’écoute d’Une Année Record. C’est démontré notamment grâce au shoutout que le emcee fait à son chat surnommé Dawg sur la pièce Nouveaux Riches (encore une fois.) Cela se rajoute aux huards qui se font entendre un peu partout. Une fois de plus, sur un projet de Loud, on ne peut que dénoter une tactique de mettre les animaux de l’avant. «C’est juste moi qui trippe sur les canards. Non, en fait, c’est la signature de Ajust et Ruffsound. Y’avait ça aussi sur les albums de LLA. C’est un peu un p’tit tag qu’ils se sont fait. C’était pas un plan en tant que tel de focus sur les animaux. Par contre, si tu veux rentrer dans les conspirations illuminati et tout, les initiales de l’album (UAR), phonétiquement, peuvent se prononcer «huard». Chose très deep à mon avis.» On confirme et on barre nos portes.

Malgré son désir d’aller ailleurs et de développer son propre truc, il est quand même intéressant de voir que son comparse Lary Kidd fait deux apparitions sur UAR, soit sur SWG et On My Life. Ça ne risque pas de ramener la comparaison de l’avant? «Je connais Lary depuis que je suis tout petit et on est encore très proches. Ça n’a pas vraiment de rapport entre nous si on travaille ensemble ou non, mais c’est nice qu’il soit sur l’album. C’est juste un featuring naturel et c’est mon rappeur préféré au Québec. C’est le fun parce que ça faisait un moment qu’on n’avait pas fait de musique ensemble pis j’pense que, pour les fans, c’est un clin d’œil super intéressant. Et même si Lary est là, l’album feel vraiment comme un autre projet. J’pense que la vibe est différente, les thèmes sont abordés différemment et la sélection des beats est vraiment différente. Même au niveau du lexique, le franglais est moins fort. Mon intention, c’était surtout pas de refaire la même chose encore une fois.»

Une Année Record est un projet assez concis n’affichant que 37 minutes au compteur. C’est à se demander si c’est par désir de garder l’essentiel ou si c’est tout ce que le team a pu amasser dans son laps de temps alloué. «J’avais toujours l’intention de faire un album court. C’était ça le plan. En général, je préfère un album court, mais efficace que je vais réécouter plusieurs fois à un album long qui va vraiment me prendre du temps à écouter. C’est pas super récent, mais Illmatic [de Nas] reste quand même un blueprint en termes de format d’album.  Mais c’est aussi une affaire de temps. Dans le fond, notre timing était seté donc y’a fallu aussi faire ce qui était faisable avec le temps qu’on avait, mais on n’a pas compromis la vision de l’album non plus.»

Paris c’est loin sauf en 747

Les fins observateurs auront dénoté les nombreux clins d’œil faits à la France, autant dans New Phone que dans Une Année Record. En plus de tout ça, suite à la vive réaction provenant des internautes du Vieux Continent, le rappeur a signé un deal de distribution en Europe. Loud est possiblement en voie de devenir le prochain Garou et/ou Roch Voisine. «I wish! C’est sûr que ça fait partie de l’intention pis c’est pour ça aussi que j’en parle dans l’album. J’en parlais aussi sur 56K. C’est un thème qui est un peu récurrent. Ça fait partie de la réflexion pis surtout de l’ambition.»

Le tout sera éventuellement accompagné d’un passage en France. Quelques dates de spectacle sont déjà en train de se booker. «J’vais arriver là-bas sans prétention, mais avec beaucoup d’ambition. On va voir ce qui arrive. On peut pas contrôler la réaction, mais à date c’est super positif. Plus de la moitié du feedback qu’on reçoit provient de là-bas. C’est prometteur. Tout vient de cette intention-là, pis c’est pour ça que le message est là dans 56K: on s’en vient! Le clip fait aussi un clin d’œil à ça avec les avions et tout, mais avant qu’il y ait des réactions, on n’avait aucune idée de ce qui allait arriver…»

Loud/Photo: Alexandre Demers

Vers une année record

En guise de phénomène notoire en 2017, c’est la première fois que le hip-hop est la culture la plus consommée aux États-Unis. C’est à se questionner si le vent pouvait tourner au Québec aussi ou si on est un peu condamné à être en retard. «Non, on est clairement toujours en retard. Aux USA c’est pas une affaire où y’a récemment une ouverture sur le rap. C’est 20 ans où c’était énorme et c’était couvert. Au Québec, on est vraiment loin de ça. Y’a certainement un buzz en ce moment et ça fascine beaucoup de gens, mais c’est aussi fait avec un genre d’alignement de rap québécois qu’ils se sont un peu construit. Ils ont trié un peu dans l’offre. Tant mieux pour nous si on a le free pass et qu’on peut jouer à travers tout ça, mais j’porte pas tant à croire que l’industrie est si ouverte au rap», souligne-t-il. Bref, les 2Frères ont encore de belles années devant eux.

Pour terminer, Loud annonce 2017 comme étant son année record. On est en droit de lui demander s’il lui reste quoique ce soit à accomplir pour se surpasser et s’il a un masterplan pour l’exécuter. «2017, ça achève. Maintenant, c’est surtout une question de spectacles et de tournées. Quand on y pense, il y a un an presque jour pour jour, on a fait le spectacle d’adieux de LLA, fait que c’est vraiment un an de solo à date. C’est vraiment dans ce sens-là que le titre prend son sens.»

Amen.

Le EP New Phone ainsi que l’album Une Année Record sont tous les deux disponibles sur pratiquement toutes les plateformes de musique en continu de tes rêves.

Loud a quelques dates de spectacle au Québec en novembre, sinon il faudra attendre l’an prochain lorsqu’il sera de passage le 22 mars à l’Impérial Bell à Québec et le 23 mars au Club Soda de Montréal. D’autres dates devraient débouler prochainement pour la province au printemps et en été. Toute autre information devrait se trouver sur sa page Facebook.

La France devrait voir apparaître l’annonce de ses propres dates de concert du padre du rapjeu prochainement. Le 747 devrait décoller quelque part en été 2018.

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