Un après-midi de septembre, on a jasé avec Philippe Brach, chez lui, pour en apprendre plus sur Le silence des troupeaux, un album qui s’écoute un peu comme un film et qui, malgré les doutes semés, n’a pas été créé en collaboration avec un quatuor a capella, ni un duo frisé. Voici le compte-rendu d’une écoute côte à côte avec l’artiste (devant un bureau rempli de figurines animales, mais on n’a pas posé de question sur le décor).
Le silence des troupeaux
Élise: C’est un instrumental, donc. C’est qui qui respire au début?
Philippe: C’est un animal! L’album commence avec une impression que la fin du monde est proche. On vient d’avoir l’élément déclencheur qui va closer ça. Quand tous les animaux courent en même temps dans la même direction et qu’ils pensent pas à se manger entre eux, ça va pas ben. Donc, c’est ça. On vient d’assister à ce qui va créer la fin du monde.
É: Pourquoi tu commences avec un instru?
P: Un instrumental au début, ça enlève tous les guides de compréhension que tu peux avoir. La personne qui écoute se dit juste «J’men criss d’où que ça s’en va, je vais prendre la claque dans face et regarder comment elle me fait sentir.»
É: On entend les animaux courir. T’imagines quoi comme animaux?
P: Ben tsé, sur la pochette, ma face c’est comme la représentation de ce que seraient les néo-humains qui restent après le cataclysme. Y’a un peu de ça. Y’a beaucoup d’animaux africains. Des zèbres, des girafes. Des affaires que tu te demandes vraiment qu’est-ce que ça calisse dans la savane parce qu’ils peuvent zéro se camoufler. Tsé, une girafe, c’est l’fun le long cou pour manger des feuilles, mais c’est crissement pas pratique. Y’a aussi des bisons, des animaux d’ici. C’est une scène avec pas mal plein d’affaires.
É: Ben là, c’est-tu un film?
P: Oui, c’t’un film finalement. J’avais pas de budget pour la pellicule faque j’ai fait «Fuck it. Vous avez juste le son.» (Rires).
La fin du monde
P: Là, ici, c’est l’être humain qui disparaît de façon exponentielle.
É: Ça va super mal….
P: Ben y’a un peu de lumière. L’apocalypse vient de se passer, mais c’est pus de la nourriture qu’il nous faut pour vivre, c’est de l’amour. On entend comme des zombies de l’amour, ils veulent pas te manger, ils veulent juste un câlin.
É: Ça va arriver quand selon toi?
P: Sérieux, si on est pour manger de la marde pendant 25 ans, qu’elle arrive le plus vite possible, la fin du monde. Je veux pas parler de ça… Ça me fait freaker. Plus je sors de chez nous et plus j’ai envie de rester en dedans. Tout de ce qu’on fait, c’est s’enfoncer la tête plus profond dans notre propre cul. On se demande combien de likes on a eus. Serrons la main des gens et essayons de les comprendre! On est à une époque gorgée de haine, comme si ça venait justifier le fait qu’on n’aime pas les situations dans lesquelles on est.
La peur est avalanche
É: Qu’est-ce que c’est, cette avalanche?
P: Ça veut dire qu’on part souvent en couille. C’est assez fou a quel point on peut décoller rapidement sur un sujet. La haine, ça déboule. Ça se sent au niveau musical dans la pièce. T’as tout le temps l’impression que ça va péter. Y’a un anti-refrain pas l’fun, pis BANG, tout le monde joue en même temps. L’avalanche, c’est que n’importe qui qui dit n’importe quoi a une tribune aujourd’hui. Comment on fait pour enlever cette tribune? Les gens sont drainés par l’ignorance et la peur.
É: Tu dis «dividu», comme Claude Poirier…
P: OUI! C’est grâce à lui. Ça vient de là! C’est ma manière de dire que j’ai vu ça à TVA…
É: Y’a une nouvelle facette musicale très blues ici…
P: C’tait pas ça pantoute au début (il prend sa guit et fait une mélodie plus folk). C’tait plus gentil. C’est Jesse (Mac Cormack), qui a réalisé avec moi, qui a essayé la toune et ça a donné ça du premier coup. Je savais que ça fonctionnerait avec la toune que je voulais mettre après. On a gardé ça. J’étais vraiment content.
Mes mains blanches
P: Celle-là est sur une musique de Bill Withers, Grandma’s Hands. J’ai déjà écouté cette toune-là 500 fois. Je l’écoutais dans une playlist de Bill. Un jour je me suis levé et je me suis dit gnanffggnan (il fait un drôle de bruit avec sa bouche pour signifier la constatation d’une évidence), j’ai eu envie de faire mes paroles.
É: Sont à toi les mains dans l’histoire?
P: Oui! Je ne parle pas du fait que mes mains sont blanches, comme ma peau. Je veux dire qu’elles ne sont pas tachées, elles ont toujours été dans la ouate. Je pourrais faire beaucoup plus avec mes mains que ce que je fais en ce moment, dans le fond.
Pakistan
P: Là, ça, ça parle de tout sauf du Pakistan. (Rires) Je m’en vais l’oublier en voyage. C’est la chanson bonbon cheezy, clichée. Je l’assume.
É: Tu fais rimer tarmac avec tabarnaque. C’est singulier.
P: C’est ça j’te dis, c’est pas la grande richesse de texte. Je suis pogné dans une esti de république islamique et j’essaie d’oublier une fille. C’est bien trempé dans le clich’
É: Parlant de voile… La loi 62?
P: Personnellement, je m’en caliss de ce que le monde porte. L’épanouissement de la femme, c’est important. C’est pas normal de commencer à vouloir choisir pour ces femmes-là ce qui est mieux pour elles. On est qui pour leur dire quoi faire? Ça donne un pouvoir à l’État que je trouve dangereux. C’est comme si on changeait pour quelque chose de ben banal comme si on interdisait aux gens de marcher dans la rue avec un concombre dans les mains. Ça ouvre une porte que je veux pas qu’on ouvre.
Rebound
P: Là, Élise, c’est la post-relation-qui-marche-pas. On fait ça pour diverses raisons, le rebound. Pour se prouver qu’on peut aller ailleurs. Des fois c’est maladroit, c’est rarement mémorable. Je parle à la fille d’avant et à celle qui sert de rebound, la pauvre. Mais c’est dans un consentement mutuel là, quand même!
É: C’est bien de préciser! Tu dis à la fille «J’t’ai dit je t’aime, c’tait même pas vrai». Te sens-tu mal?
P: WO, j’ai jamais dit ça pour vrai. C’est de l’autocaricature. Je ferais pas des move de marde de même!
É: Elle commence a capella. C’est une inspiration de QW4RTZ ou c’est la Bonne journée, de cet album?
P: C’est plus comme si j’écrivais une lettre au début, pis après, la toune, c’est vraiment ma pensée, c’est moi qui parle.
Cantique de l’abandon
P: Je l’aime bien ce truc-là. Ça c’est fait fucking vite. Je pouvais pas inscrire 84 personnes à la SOCAN donc les droits vont aller dans les airs.
É: Décris-moi la scène.
P: Je voulais éventuellement écrire de quoi par-dessus, mais finalement j’ai décidé que non. J’ai demandé à l’orchestre de faire un crescendo rapide angoissant pour closer la peine d’amour et rouvrir sur la guerre qui est plus orchestrée. Finalement je trouvais ça trop fort. J’ai laissé ça instrumental pour ne pas fausser l’interprétation des gens. Nicolas Ellis (le chef d’orchestre) faisait des gestes qui n’avaient pas de bon sens. On a fait deux takes pis on a gardé la première.
Tu voulais des enfants
É: Tu compares un enfant à un bibelot vivant…
P: C’pas fin…
É: Non…
P: Ça parle de faire des enfants pour les mauvaises raisons et le propos s’adoucit un peu après… Ben pas tant que ça dans le fond. Musicalement, c’est carrément Nat King Cole. Je voulais que ça sonne comme ça. Y’a deux couplets et ensuite un troisième couplet fucking long de l’orchestre qui part dans tous les sens Je voulais un propos moderne pour illustrer le clivage entre faire des enfants aujourd’hui par rapport aux années 50.
É: L’orchestration est puissante…
P: Y’a trois paliers. C’est soft et ça explose. Je capote là-dessus.
É: J’adore le mot capharnaüm.
P: Moi aussi! Musulmane et capharnaüm, ça coule vraiment bien. Ça virevolte dans le vent on dirait. Ça pourrait être le nom du prochain album. Y’a des mots qui s’imposent juste de par leur sonorité.
La guerre (expliquée aux adultes)
É: Ça ressemble à un chant religieux.
P: Je voulais une ritournelle à la début de toune de Vigneault. Quand tu likes quelque chose, dans vie, ça a un impact. Tu partages tes valeurs. Mais ça prend plus que ça pour régler les problèmes. La toune, ce sont les enfants qui disent. «C’est ben facile, faut juste s’aimer. Pis ils retournent dans le champ de mines.» Quand quelqu’un me dit qu’il veut la paix dans le monde… Fair enough. Par quoi qu’on commence?
É: Avec les sons, tu veux qu’on comprenne que les enfants explosent?
P: Oui, mais c’est plus délicat que ça. Les enfants de la chorale étaient next level. Quand ils ont écouté la toune, ils ont dit «On comprend pas pourquoi ça s’en va dans le flou. On pourrait arrêter de chanter un à un comme si on était fusillés un à un.» Ils ont 11 à 17 ans et ils sont 100 fois plus trash que moi. Ils ont d’ailleurs refusé de faire le lancement parce qu’ils ne trouvaient pas ça legit d’être le visage des enfants soldats. Parce que c’est là qu’ils puisent leur émotion. Je suis rassuré de savoir que ce sont eux qui s’en viennent. Ça va être une belle génération.
Joyeux anniversaire
P: Là ici, c’est un court-métrage! Le gardien de phare, basically, sa job, c’est de pas être vu et d’aveugler les gens. Il est seul avec son chat, ben relax. À un moment donné il pète la lumière, pis il ferme la chope. Bien sûr, ça implique de tuer le monde sur les bateaux.
É: Donc ce n’est pas la nouvelle toune qu’on va se chanter pour nos fêtes?
P: (Rires) Peut-être pour les anniversaires de décès: il est mort depuis 10 ans, on va se pousser la toune de Brach.
É: D’après toi, qui retrouve son chat?
P: Bonne question! Peut-être un genre de pompier premier répondant, un gars qui connaissait ben les gens sur le bateau qui devait accoster au port.
Pis la pochette…
É: Dans tes remerciements, tu demandes à France Beaudoin de te rappeler. Est-ce que tout va bien de ce côté-là?
P: Elle a pas répondu à ma missive #34. Je lui ai envoyé un album.
Tu devrais acheter la version physique de l’album parce que la pochette est malade.
Le lancement aura lieu le 6 novembre dans le cadre de Coup de coeur francophone.
La première montréalaise promet d’être assez fucked up. C’est le 16 mars et les billets sont ici.