L’auteure-compositrice-interprète Rosie Valland est en mode rêverie et écriture ces temps-ci. On a pris en otage 30 minutes de sa journée pour discuter de synchronisation, de gestation artistique et de mollets.
Mettant de l’avant un son indie folk délicat et épuré aux textes déchirants (et déchirés) qui valsent souvent avec l’introspection, Rosie Valland s’est fait connaître dans le circuit indépendant québécois au cours des dernières années grâce à ses projets Partir avant et Nord-Est. Originaire de Granby (à une certaine distance du zoo et ses condors), celle-ci a rapidement pris d’assaut la métropole et s’est bâtie une enviable réputation dans l’œil du public. Actuellement un peu à l’écart de la sphère publique, elle prépare la suite des choses dans son coin en laissant libre cours à un paquet d’idées en gestation.
On a pris un p’tit moment de son après-midi pour savoir comment elle occupe son temps et comment elle a accouché de Synchro, son plus récent projet qui se veut à mi-chemin entre un single dense et un EP écourté. Entretien avec une artiste qui aime la spontanéité qu’offre l’ère actuelle, mais qui sait prendre son temps lorsque la création cherche ses repères. Ça commence drette là!
Bourgeonnement à Paris
C’est avec l’ambition de créer un nouvel album qu’elle s’est rendue à Paris dans un appartement que la SOCAN lui a prêté. Ça ne s’est pas passé exactement comme prévu. «J’suis partie et, naïvement, je pensais que j’allais écrire un album complet. En fait, y a eu plein de textes et autres affaires qui sont sortis, mais finalement, en chanson, y a eu que Synchro. Je l’ai écrite en une nuit. Parmi les autres pièces que je suis en train de composer, elle sortait toujours un peu du lot dans son propos. Y avait peut-être quelque chose d’un peu plus amoureux. De plus décomplexé. On dirait que je me suis dit que tant qu’à la forcer un peu dans l’album que je suis en train de faire en ce moment, j’ai comme voulu lui donner une autre vie.»
Malgré le fait qu’elle n’ait accouché que d’une chanson dans ce plus récent projet, Rosie s’est permis un certain habillage laineux pour vêtir un peu son morceau. «J’voulais pas juste faire un single. J’avais envie d’une démarche un peu plus large. Je voulais être en mesure de développer un visuel autour. Dans ma tête, un single, on dirait que ça sonne pour que ça passe à la radio et faire de l’argent. C’était plus que ça pour moi. J’avais envie qu’elle ait une certaine densité.»
Vers plus de densité (collabo avec Fred Levac)
Tant qu’à avoir un morceau qui rentre mal dans la boîte mentale de l’album qu’elle compte produire, Rosie a donc voulu rentrer en studio et le sortir rapidement. Le processus en aura été un sous le signe de l’exploration et de l’apprentissage, puisqu’elle a signé une première co-réalisation très moody et atmosphérique aux côtés de Fred Levac, notamment membre de Pandaléon. «T’sais on a travaillé ensemble, mais j’ai senti que chaque idée qu’il y a sur le EP, ç’a été approuvé par moi et c’était un peu la genèse de mon idée que Fred poussait plus loin. On se relançait beaucoup. On est arrivés à ce résultat-là après trois jours de studio.»
La démarche à tâtons aura porté fruit. Un peu comme jouer au jeu de l’âne avec la queue qu’on doit coller au mur les yeux bandés (genre) «Avant de le faire, on savait pas trop où est-ce que ça s’en allait. Je pense que c’est juste que Synchro marque un peu le début de la phase où je fais presque tous les instruments avec Fred. Habituellement, il y avait un band, là j’ai fait les drums et Fred a fait les pianos. Y’a quelque chose de plus contemporain. Aussi, ça a été une des premières fois où toutes les décisions ont été tranchées par moi. Quand t’as un réalisateur, c’est différent. C’est vraiment la première fois où je réalisais. J’ai aimé ça.»
Les membres du corps en synchro
Le propos amoureux de Synchro se transmet notamment à travers une série de membres du corps mentionnés dans la chanson et, une fois de plus dans le répertoire de Rosie Valland, le cou est à l’honneur. C’est à se demander si elle a besoin d’un bon chiro. «C’est vraiment un hasard. J’parle souvent de mon corps et de mes membres. J’pense qu’on vit souvent des trucs abstraits pis c’est une façon de rendre ça concret. Moi, quand j’vais pas bien, on dirait que c’est tout autant physique que mental. Je le ressens… ouin.» Tout est une question d’éloquence. Le public est en stand-by pour son prochain morceau sur le talon ou le trapézoïde «Haha vraiment! Tsé les mains, ça revient. Peut-être qu’un jour ce sera les mollets…»
En plus de tout ce lexique corporel élaboré, on peut entendre sur le EP un enregistrement de voix inversé sur Despetar, la pièce d’introduction. Il est donc très à propos de se demander si c’est une manière de faire entendre son admiration pour le satanisme ou s’il s’agit d’une théorie pour détruire les illuminatis. «Non, c’est un bout de Synchro en fait. Je n’annonce rien… mais ça pourrait être: Recyclez tout le monde! ou Arrêtez de prendre vos autos!» Tenez-vous-le pour dit et repensez votre vie au complet. Merci.
Repenser le modèle de vente de la musique et rendre le tout plus organique.
Pour contextualiser la sortie de Synchro: c’est à la suite de l’écriture d’autres chansons que Rosie a vu qu’elle clashait avec le reste et elle s’est dit qu’elle allait entrer en studio et la sortir. C’est ce qu’elle a fait. «On est dans l’ère Spotify et tout, mais y’a quelque chose de très décomplexé dans le fait de pouvoir sortir n’importe quoi, n’importe quand. J’ai l’impression qu’il y a moins de rituels par rapport à la sortie de matériel. Tu peux entrer en studio et la sortir et puis voilà.»
Y a de plus en plus d’artistes, certains même très établis, qui sortent un truc du jour au lendemain sans campagne de promo. «J’pense qu’en fait, le format album et le fait de le promouvoir c’est intéressant pour vendre des shows et tout ça, mais c’est assez loin du processus artistique. Souvent, on écrit une toune en une journée et elle est faite. Y’a quelque chose de plus expéditif dans la chanson habituellement. Je trouve que le processus de promotion n’est pas nécessairement en lien avec ça. Dans le fait de sortir des projets rapidement, il y a quelque chose qui ressemble un peu plus à la création pour moi.»
Il faut souligner que l’inspiration, pour Rosie, c’est souvent dans l’impulsion. C’est souvent un processus accaparant qui demande à être traité et extériorisé. «J’vais souvent être dans une catharsis. J’vais vouloir que ça sorte, donc j’écris. J’ai l’impression qu’il y a plein d’affaires qui peuvent m’inspirer, mais il faut souvent que ça m’empêche quasiment de fonctionner normalement donc il faut que j’écrive une toune pour passer à autre chose. Il faut vraiment que ça vienne me chercher à ce point-là.»
La suite des choses
Puisqu’elle se sert souvent de ses projets comme exutoire pour passer à autre chose, la parution de Synchro pourrait annoncer une cassure par rapport à ce qui s’en vient de sa part. «Le son que j’ai en tête pour le prochain album, c’est loin d’être électro. En même temps, je dis ça pis ça pourrait changer, mais ce que je vise en ce moment, c’est vraiment pas en lien avec Synchro. J’ai envie de faire plein d’affaires tout en restant dans la vibe que j’ai en tête. T’sais, j’ai même pas fini de l’écrire et j’ai même pas de date de studio… J’ai envie de me laisser ce temps-là.»
Le lousse qu’elle se donne, c’est surtout pour travailler la base des chansons avant l’esthétisme de celles-ci. «J’ai envie de ça. Présentement, je travaille beaucoup les compositions. J’ai travaillé des arrangements pis j’ai tout effacé et je suis retournée aux chansons. J’pense qu’on est dans une ère ou faut comme presser un peu les choses et j’ai envie de porter attention aux chansons et à leur base. Je veux que le « guitare-voix » soit bon. Bref, je suis loin de rentrer en studio.»
Rosie n’est pas à la veille de faire paraître son prochain album solo (avec Jesse Mac Cormack pour la réalisation), mais les idées germent et prennent leur temps. Y’a pas de presse! Elle vise toutefois la fin 2018 ou le début 2019. À surveiller!
D’ici là, son EP/single Synchro peut servir d’amuse-gueule en attendant la suite des choses. On aime ça de même.