L’auteur-compositeur-interprète Peter Peter s’est isolé dans la Ville Lumière pour composer son troisième album Noir éden. Retour sur son expérience teintée de solitude, d’introspection et de félinité qui a donné naissance à un projet plus minimaliste, errant dans les ruelles obscures de son passé (thématique féline en bonus).
Originaire de Chicoutimi, Peter Peter s’est rapidement taillé une place dans l’univers culturel québécois. Après avoir fait sa marque avec Peter Peter (2011) et Une version améliorée de la tristesse (2012), deux albums aux influences anglo-saxonnes, l’artiste est allé poser ses griffes à Paris dans l’optique de vivre une solitude qu’il a toujours idéalisée et de créer ce qui allait devenir un projet plus assumé aux sonorités tantôt dansantes, tantôt obscures (mais toujours accrocheuses.) Une expérience qui s’est avérée plus troublante que prévu (et les Parisiens n’ont rien à voir là-dedans, promis.)
Tout fraîchement revenu du Vieux Continent (et encore un peu jet lag), Peter Peter a pris du temps de son horaire chargé à bloc pour discuter du voyage cérébral et artistique qui a été la genèse de son album le plus immersif, Noir éden.
Instabilité et intentions
À la suite de la parution d’Une version améliorée de la tristesse, le jeune créateur est reparti à la rencontre de l’Europe avec des ébauches de Pâle cristal bleu et Little Shangri-La et avec un passeport valide en poche dans l’espoir de titiller le poisson dans le bocal de son inspiration. «Je m’attendais à faire un album pop parce que j’avais des mélodies plus assumées. Il y avait quelque chose de plus ostentatoire. J’ai trop dit le mot pop en studio, mais ça veut rien dire au final. Ce n’est pas un style. Ça peut vouloir dire faire des compromis, mais c’est pas ce que j’ai fait. Pour moi ce qui était important, c’était le récit. Je trouvais ça intéressant de passer d’un mood à l’autre. Je trouvais que ça ressemblait à tous les tourments que j’avais dans la tête», remarque-t-il.
En plus d’une volonté plus pop, ses écoutes plus répétitives de musique électronique font leur chemin et jettent les bases d’un album se voulant plus orienté vers les synthés et une production numérique plus minimaliste «C’est sûr que j’ai été influencé. J’ai beaucoup écouté de Caribou et autres trucs comme ça. Même si je m’amuse encore avec la guitare, je m’amuse pas mal avec les productions électroniques. Je me suis perdu un peu dans l’album, c’est ce que je trouvais intéressant», ajoute-t-il.
Même s’il aimait sa vie de bohème, Peter a dû changer son mode de vie pour se mettre à composer des morceaux avec plus de substance. «J’ai beaucoup voyagé, mais j’écrivais pas beaucoup quand je n’avais pas de domicile fixe. C’est vraiment quand je suis arrivé à Paris et que j’ai emménagé avec ma copine de l’époque que je me suis rendu compte que, d’avoir un chez-moi, ça me faisait écrire», se souvient-il.
Isolement, solitude et nuits blanches
Étant déjà un solitaire de nature, Peter a voulu plonger encore plus profondément dans l’introspection en s’isolant complètement du monde extérieur, question d’y puiser un peu d’inspiration. Ça a été une expérience plus déstabilisante que prévu. «C’est le premier album où je ne sortais carrément pas, dit-il. Je ne voyais pas d’amis. Ça a été vraiment une immersion à travers moi-même. Je passais des journées à ne parler à personne. J’suis allé à la rencontre de cette solitude-là que j’ai toujours idéalisée. J’en ai sorti un album. Quand on va aussi loin, c’est pas toujours facile de revenir. Même après quand j’étais avec les gens, j’étais pas vraiment avec eux. J’étais coincé dans ma tête. J’y passais trop de temps. L’album, c’est ça, en fait.»
Bien que sa tête ait été un nid d’idées intéressantes, il se retrouvait souvent dans des loopholes de sa psyché dans lesquels il perdait pied. «Je finissais par partir plus profondément dans mes pensées, dans des trucs labyrinthiques qui tournent un peu en rond. L’album parle un peu de ça. C’est justement de passer trop de temps tout seul. J’pouvais passer des heures à juste regarder le néant, explique le musicien. À un moment donné, je me suis mis à faire des crises d’anxiété. Ça, ça te fait encore moins sortir de ta tête.» Ce sont ses recoins obscurs qui auront permis de faire germer des nombreuses idées qui ont marqué l’album au fer rouge (ou noir éden.)
Des recoins inspirants (troublants, mais inspirants…)
Ces longs mois d’insomnie à contempler la solitude l’ont replongé dans les reliques de son propre passé, y récoltant quelques croquettes d’inspiration au passage. C’est le cas de la chanson plus moody, Damien «Cette pièce, c’est la rencontre avec une partie de moi qui n’existait plus. Damien, c’est un ami avec qui j’ai été vraiment proche et qui représente un peu la période quand je suis parti de chez ma mère. À cette époque, j’avais pus de contraintes. J’ai passé quelques années à boire, fumer des pétards et jouer de la guitare. Maintenant, y a une certaine nostalgie quand je repense à ces années-là. J’étais pas anxieux à cette époque. C’est un peu une enfance perdue», souligne-t-il.
Ce trou noir de la psyché qu’il a exploré, il arrivait mal à mettre un doigt sur ce que c’était. Il l’a baptisé son «Noir éden». Ce concept symbolise tellement bien l’ensemble de l’album qu’il lui a donné son nom et la pièce-titre est devenue le premier extrait. «Ça représente le personnage qui se rend compte que la réalité est un peu factice. Qu’il n’est pas vraiment là. Il essaie de cracker un peu le mystère de ce qu’il ressent. Pour moi, tout réside sur ça: la relation avec le monde extérieur quand on est quelqu’un de solitaire et qu’on vit les choses de l’intérieur, affirme-t-il. J’ai décidé d’intituler ce monde-là Noir éden. C’est le nom que j’ai donné au simulacre dans lequel j’avais l’impression de vivre et que j’avais l’impression de pas comprendre.»
Cette solitude, il l’a mise en scène dans le vidéoclip: on le voit déambuler seul en pleine nuit parisienne. «Ça représente franchement ce que je vivais depuis trois ans, c’est-à-dire être tout seul avec mon iPhone dans les oreilles à écouter de la musique. Je marchais à travers les gens qui vont quelque part alors que moi j’allais nulle part, admet-il. On a l’impression que, dans la vie, on est toujours sur des rails. Sans horaire, je remarque que je savais pas quoi faire de mon temps. Quand t’as trop de latitude, tu t’égares dans le néant. J’ai l’impression d’être allé loin là-dedans…»
Exorciser le félin intérieur
Dans ses moments d’égarement, Peter a fait de Venus son totem. Venus, c’est le chat de son ex-copine qui a passé beaucoup de temps à errer dans l’appartement et qui a été le temple de son immersion introspective. De son admiration pour le matou est née une pièce portant son nom, un morceau plus upbeat et dansant de l’album: «Dans les moments de solitude, elle était avec moi dans l’appartement d’une façon plus sereine, je dirais. J’avais l’impression qu’elle vivait tellement les choses que y’avait rien qui la stressait alors que moi j’étais vraiment anxieux. Pour moi, ç’a été un peu un symbole de la sérénité. Je l’aimais beaucoup, elle a eu sa chanson. Aussi, veut, veut pas, c’est un animal auquel je m’identifiais beaucoup dans ma relation. D’une certaine manière, j’ai eu une vie de chat pendant ces années-là. D’avoir le luxe d’être sur un canapé et d’être dans mes pensées pendant des heures. C’est sûr que ça représente ma félinité.»
Malgré les innombrables éloges, les admirateurs essuieront peut-être une chaude larme en apprenant que le chat sur la pochette n’est pas la muse Venus. Il s’agit plutôt de Humphrey, le chat de l’assistante du photographe. «Au début c’était supposé être une illustration de la BD, mais je suis allé faire un photoshoot avec un photographe et il trouvait que ça pourrait être cool s’il amenait un chat. J’étais pas intéressé. Y a toujours des relents de chats sur internet et j’trouve ça cheap. Quand son assistance a mis son chat sur mon épaule, on a pris des photos, et j’ai vu ma pochette d’album. Tout simplement. J’ai trouvé que tout était dans l’intention du regard du chat (même le mien). Le fond super minimaliste évoquait un peu le néant. Tout fonctionnait», assure Peter.
Retomber sur ses quatre pattes
Malgré les tourments qui ont teinté sa solitude et le processus de création, notre fin narrateur laisse croire c’est le projet qui l’a fait le plus grandir sur tous les plans. «Ça m’a apporté beaucoup, dit-il. Maintenant j’ai un peu moins peur et j’attends moins des autres. J’y vais plus avec mon instinct. Je sais que je peux arriver quelque part par moi-même. Cet album m’a appris à produire de chez-moi, à faire confiance à mes idées. Jusqu’ici ce n’était pas encore arrivé. C’est comme une espèce d’émancipation artistique.»
Le processus lui a également permis de calmer ses démons et diminuer son anxiété. Faire un bout de chemin et accepter certaines idées. «Franchement, c’est sûr que maintenant j’suis un peu plus à la rencontre des gens. J’ai quand même l’impression que le Noir éden revient un peu des fois. À la façon d’un roman de sci fi ou d’épouvante, chaque fois que tu penses t’être réveillé, y a un signe que tu ne l’es pas nécessairement… Je pense que j’essaie d’embrasser quand même les moments de grâce que la vie nous donne. J’essaie d’accepter que tout ne sera pas nécessairement réglé. C’est d’apprécier les moments qu’on a. De se rattacher aux bons souvenirs qu’on a eus. D’une certaine manière, s’ils ont existé dans le temps, ils vont exister pour toujours.» WORDS OF WISDOM, LLOYD!
Peter Peter lance son album ce soir, 8 mars au Club Soda dans le cadre de Montréal en Lumière. Il laisse sous-entendre que le nouveau setup de scène pourrait avoir des airs d’opéra-rock. Pas game d’aller voir ça!
Pour les Européens, il sera notamment de passage vers la fin du mois de mars au Chat Noir de Carouge et à La Laiterie de Strasbourg (et il assure que la thématique féline est involontaire…)
Son nouvel album Noir éden est maintenant disponible en ligne et en magasins (sauf au HMV, mettons.)