Julien Gagné et Basta
Caissier concierge
Indépendant
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Cet EP quelque peu oublié, sorti l’automne dernier, n’aura jamais été aussi d’actualité qu’en ces temps joyeux. Des temps où les PDG les mieux payés du Canada gagnent notre salaire annuel après une demi-journée de travail, où le clown orange qui dirige les États-Unis s’attaque aux femmes, aux immigrants, à la science, à l’environnement, alouette… Des temps où le Québec se dirige mollement, mais sûrement vers la grise médiocratie.
Caissier concierge, c’est l’histoire du chanteur Julien Gagné, un travailleur qui cumule les petits boulots pour tenter de joindre les deux bouts et qui, chaque jour, s’aliène de plus en plus l’esprit et le corps à travers son temps de travail. À la banque comme commis de nuit ou lorsqu’il lave une chiotte à la Place Ville Marie, il cumule l’humiliation quotidienne et les démons internes.
Julien est accompagné par sa bande de Basta avec entre autres, Jean-Pascal Carbonneau, bassiste et compositeur musical des sept morceaux de Caissier concierge. L’atmosphère est sombre, mais regorge de mélodies entraînantes. Des sonorités à la Nick Cave m’apparaissent évidentes, mais le franc-parler parfois crié du chanteur donne un ton plus cru, plus punk même.
Au fur et à mesure que les morceaux s’enchaînent, la résilience de Julien Gagné se dessine et s’endurcit à travers un monde qu’il n’imaginait pas ainsi, lui et ses bons sentiments, le bum bourgeois de bonne famille.
Il raconte une rupture, puis des boulots pénibles sur Les bons sentiments: «Ça m’a fait comprendre à quel point les hommes entrent dans le monde avec leurs souliers sales pour dire c’est à moi, pour tout gâcher.»
Coincé dans une routine sans répit, trop occupé à se soumettre, il n’arrive plus à s’évader: «À ce moment-là je n’écrivais pas beaucoup, j’étais trop occupé à penser à écrire, à attendre qu’on m’appelle pour puncher, des fois deux semaines sans téléphone, la conciergerie, c’est contingenté!», chante Gagné.
Puis, la colère et le refus: «J’en ai eu assez de servir pour que les autres se servent de la sueur sur mon front, de ma capacité à accomplir un ordre.»
Sur Le concret, on débute sur un rythme de basse hypnotisant, puis s’ajoute le superbe jeu de violoncelle de Julien Thibault qui se mélange harmonieusement à la guitare grasse et sale de Louis-Philippe Dupuy. C’est une longue montée en puissance. La batterie de Mathieu Lavoie s’active, et tous en chœur ils chantent comme s’ils scandaient un slogan: «Ressuscitez Allende! Une vraie révolution qui n’est pas scrapée par les États-Unis! Des remparts invisibles contre le concret!». Clairement la meilleure chanson du EP.
Enfin, sur la belle mélodie Un abri, de l’espoir pointe à l’horizon malgré les défaites du quotidien: «Quand j’imprime mon temps sur une carte comme le fer à blanc sur la peau d’un animal et l’épaule à la roue du productivisme, je porte en moi un abri, j’encaisse les coups.»
Julien Gagné nous transporte dans son vécu d’un passé pas si lointain duquel il a pu sortir. Il décrit cette réalité que plusieurs vivent et vivront peut-être toute leur vie, dans une situation précaire et sans répit. Ces excellents morceaux rendent hommage à ces gens oubliés, c’est à eux qui il faut lever notre chapeau: «Tu verras fiston, que ton papa était un homme exceptionnel, presque aussi grand que toi, le plus grand Caissier concierge et qu’il aimait ta maman et qu’il la trouvait belle et qu’il ne méritait pas les poubelles, le plus grand Caissier concierge».