Maxime Gervais
Artiste Raté
Cuchabata Records
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J’ai entendu une blague un jour. Un homme va chez le toubib, dit qu’il est déprimé, la vie lui parait dure et cruelle. Il dit qu’il se sent tout seul dans un monde menaçant. Le toubib dit: «le remède est simple, le grand clown Paillasse est en ville. Allez le voir, ça vous remontera». L’homme éclate en sanglots «Mais Docteur, qu’il dit, je suis Paillasse». Bonne blague, tout le monde rigole, roulement de tambour, rideau.
(Alan Moore – Watchmen)
Humoriste, improvisateur, comédien et DJ en résidence à l’Espace Public, sur la rue Ontario, le campivallensien Maxime Gervais roule également sa bosse depuis une dizaine d’année comme musicien, anciennement sous le sobriquet de «Maxos le Gervoïde». Sa cinquième proposition, Artiste Raté, est un portrait lucide, mais léger de sa carrière de chanteur et de ses états d’âme généraux.
Si l’on ne se frotte qu’au matériel humoristique de Gervais, dans son duo Les Pic-Bois, on pourrait peiner à croire que l’homme derrière le Magicien Pervers ou l’Après-Ski Jazz puisse faire preuve d’une grande sensibilité et d’une poésie brute. Pourtant, Artiste Raté apparaît comme un exutoire pour les angoisses reliées à la trentaine et à la vie qui ne suit pas exactement le modèle que les baby boomers et les vieux X ont proposé à notre génération.
Dans un récit non narratif, Gervais campe le décor dès le premier titre, homonyme de l’album, où il parle de son statut de musicien qui tourne en rond, qui n’aura jamais de succès à grand déploiement et qui craint de ne jamais entrer dans la légende, ayant survécu au fameux «27 Club». «Ma rébellion est morte quelque part en 2012», ajoute-t-il dans le premier titre et dans X-Files (Hikikomori blues). L’essentiel se résume par un solide couplet, semi-rappé par l’auteur-compositeur-interprète: «Les tounes que j’écrivais à 17 ans étaient pas mal meilleures que celles que j’écris aujourd’hui / J’t’écrivais ça en une heure, c’était pas une traînerie / Y’avaient d’la frustration pis fuck les émotions / Au lieu de dire «Je t’aime», j’faisais des jokes de graines / J’accordais pas ma guite, a fallu qu’on m’l’apprenne / C’était punk rock en criss, ça donnait pas une cenne / Si tu veux entendre ça, vas voir sur mon Bandcamp.»
On oscille entre Événement familial, qui joue sur le déni du vieillissement, ou encore la très touchante Maudit qu’c’est cool qui parle de retrouver, un peu, la paix. Un cri du cœur franc, parfois trop transparent, avec des titres en hommage au génie musical et humoristique qu’est Joël Martel (Martel Solo, Les Patates Impossibles) avec le titre Joël nous fait rire. Cependant, ces pièces, qui peuvent parfois paraître rébarbatives si on n’a pas le référent, se glissent dans le méta-discours de l’album, rappelant à Gervais qu’il n’est pas seul et qu’il peut trouver la sérénité.
Enregistré seul avec les moyens du bord, la production gagnerait parfois à mettre davantage le matériel musical en valeur, car si les compositions sont touchantes (pour revenir, par exemple, à cette fameuse Maudit qu’c’est cool, qui mérite sa place dans les grands titres de la chanson alternative en 2016), les arrangements sonnent parfois indistincts. L’esthétique lo-fi se prête néanmoins bien à la proposition pour ce qu’elle représente.
Avec des titres qui peuvent sembler humoristiques ou ridicules (Mon équipe d’impro est en criss après moi, Macaroni au fromage blues), on retrouve néanmoins des pièces touchantes, qui nous montre un nouveau visage de Maxime Gervais, franc et vif. Si la valeur d’un artiste se fait par la reconnaissance populaire, sa proposition est peut-être exacte, mais la charge émotionnelle et l’expérience auditive nous permettent de croire, sans doute, que Gervais est loin de l’artiste raté qu’il pense être.