Feu à volonté a l’habitude de chercher le trouble, courir après la controverse, se baigner dans les discordes qui parsèment la scène musicale. La semaine passée, la marde était pognée à Laval. On a donc décidé de finir la semaine là-bas. C’est à l’Annexe 3 de la salle André-Mathieu que Basia Bulat conviait vendredi les gens de Laval, liés ou non au crime organisé, pour un chaleureux concert pailleté.
C’est alors qu’on attend la première partie qui sera exécutée par la formation Sam Patch que nous remarquons un niveau de modernité surréaliste dans la salle lavaloise. Actuels, voire même futuristes, les éléments d’éclairage ne sont pas sans rappeler les sabres laser de Star Wars ou les partys de jour de l’An de début 2000.
Véritablement sous le choc de constater que Laval peut aussi jouir de la modernité en termes de moyen de transport, Tim Kingsbury, à la tête de Sam Patch, entre sur scène en affirmant, ébahi, que s’il avait voulu, il «aurait pu se rendre jusqu’ici en métro». «Ce n’est pas une blague, le métro se rend jusqu’ici. C’est juste que j’avais du gear à transporter», nous dira-t-il, on ne peut plus sérieux.
Bassiste et guitariste au sein d’Arcade Fire, le musicien offre une proposition artistiquement similaire à celle de son groupe, mais avec une facette plus folk-country: Arcade Fire rencontre un gars des Prairies.
Dès la deuxième chanson, Basia Bulat entre sur scène pour participer à sa propre première partie en tant que choriste. Assez dévouée, la fille!
«Qui vient vraiment de Laval?», demandera Tim après quelques chansons, visiblement intrigué à l’idée de mettre un visage sur les gens qui vivent là pour de vrai. Quatre ou cinq personnes lèveront la main. Les autres demeureront immobiles, probablement par crainte d’être associés à un crime qu’ils n’ont pas commis.
Il terminera en remerciant le public attentif (et stoïque, par le fait même) qui a su garder sa concentration malgré le fait qu’aucune chanson du groupe ne soit déjà connue de qui que ce soit. Le projet verra officiellement le jour en 2017, ce qui devrait changer positivement la donne.
Durant la pause de quinze minutes permettant à Basia Bulat de se remettre de sa propre première partie, je vais visiter les toilettes de l’immeuble. En déambulant dans les corridors, je suis d’abord interpelée par cette oeuvre de maisons en brindilles pas très solides, rappelant la tragique histoire des Trois petits cochons.
Puis des sphères lumineuses remplissent artistiquement le vide, symbolisant probablement le concept de la lumière au bout du tunnel ou, selon l’évangile, l’étoile lumineuse guidant les bergers.
Et difficile d’ignorer les visages, dessinés à même le plancher, métaphore du cycle de la vie: tout vient de la terre et y retourne.
Ils sont très calmes les Lavalois devant une Basia Bulat tout sourire qui a du mal à provoquer des mouvements (ou même des bruits) de foule. Elle racontera que les notes d’orgue qu’elle joue sur Time lui rappellent la musique de l’orgue du Centre Bell et, par le fait même, la maison. «J’ai fait cette remarque durant un concert en Angleterre et ils n’ont rien compris. Peut-être qu’ils n’ont pas d’orgue dans leurs arénas, ou peut-être qu’ils sont juste des Anglais», évoquera-t-elle.
C’est en entamant la chanson-titre de son album, Good Advice, qu’elle avoue à son public qu’elle n’écoute jamais les bons conseils qu’elle reçoit. Entre son concert à Montréal en février et maintenant, on entend une progression marquée dans les arrangements. Let Me In, entre autres, est rythmée par des effets de synthés absolument nouveaux et inventifs. Même si son plus récent album a joué en boucle dans nos oreilles, son concert révèle encore des surprises.
Les jeux d’intensité au coeur des pièces permettent également de les redécouvrir: on peut osciller entre une vulnérabilité dépouillée et une intensité enlevante au coeur d’une même chanson.
Au moment où Basia dira «Il nous reste encore quelques chansons», seuls deux trois dégourdis manifesteront leur joie. «I’m glad at least one of you is down with it», rétorquera la chanteuse, tentant de réveiller les Lavalois qui avaient eu une grosse semaine.
Elle reviendra pour un rappel avec une petite harpe ancestrale fabriquée en 1915. «Je peux imaginer que ça a déjà bien sonné», affirmera la musicienne, heureuse d’interpréter The Shore sur un instrument très imprévisible.