Le beatmaker/DJ/producer de St-Henri, Tommy Kruise repart (un peu) à neuf à la suite d’une opération qui a changé sa façon de travailler ainsi que sa vision de la vie en général. Entretien intime avec un artiste multidisciplinaire qui pousse plus loin son émancipation artistique.

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Tommy Kruise/Photo: Bruno Guérin

 

Si t’es un amateur de grosses productions percutantes et actuelles, le nom de Tommy Kruise t’est certainement déjà tombé dans l’oreille. Né sur les plateformes web, Tommy a fait beaucoup parler de lui grâce à ses projets Memphis Confidential, ses productions pour Les Anticipateurs, ses collaborations avec des artistes internationaux et son appréciation pour le beige. Le buzz autour de son art l’a transporté un peu partout en Amérique du Nord et en Europe, allant même jusqu’en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Puisque Tommy est un gars spontané (autant dans ses DJ sets qu’avec les filles), il nous a rapidement seté une place dans sa routine pour qu’on puisse discuter de son parcours et prendre de ses nouvelles.

Du skateboard à la console

Originaire de Côte-de-Beaupré, Tommy passe ses années formatrices à faire du skateboard dans les parcs. Il souligne que la musique était présente très tôt dans le processus. «Moi et mes chums on pratiquait nos tricks en écoutant du gros Three 6 Mafia, dit-il. Au fil des années, j’ai mis le skate un peu plus en veilleuse pour me mettre à taponner des beats hip-hop à temps perdu (et/ou lorsque bien batté) sur le Maschine que je m’étais procuré.» Ayant une attirance marquée pour le hip-hop de Memphis, il s’est mis à flirter naturellement avec les sonorités plus lentes et lourdes qui agissent à titre de signature dans cette région. Graduellement, il s’est aussi mis à reproduire les sons downtempo qui l’avaient tant fait triper à l’adolescence, errant dans les eaux de Massive Attack, DJ Krush et Mr. Scruff.

Plusieurs systèmes de son défoncés et quelques expérimentations artistiques plus tard, Tommy a appris à mieux composer ses propres productions. Le premier beat de son cru dont il était fier, War Hammers, il l’a fait dans sa chambre à St-Henri à partir d’un sample de musique de jeu vidéo. «Je l’ai écouté pendant deux semaines non-stop. Avant ça, y a vraiment juste dans ma chambre que ça se passait», se souvient-il. Ce beat s’est éventuellement taillé une place sur son premier EP Memphis Confidential Vol 1, finalement paru sur le web en 2012, qui a rapidement alimenté un buzz sur les internets à l’échelle internationale!

Se faire coller une étiquette

Avec le temps et le travail mis en ligne, l’étiquette trap, encapsulant le hip-hop dirty south des États-Unis, s’est collée aux épaules de Tommy. Chose qu’il n’a jamais volontairement cherchée et qui le laisse totalement indifférent. «J’me fais booker et on me surnomme le trap lord, lance-t-il. Je vais jamais mentionner que ça me dérange, mais les gens qui viennent me voir jouer savent que c’est beaucoup plus que ça: y a du house, du techno, du dancehall, du ballroom, etc. Je m’intéresse vraiment à tout. Ça m’a pris du temps à maîtriser d’autres styles, mais j’en suis à un point où je suis très confo avec ce que je fais avec la musique.»

Tommy n’en a personnellement rien à cirer des étiquettes, mais il sait que ça crée des attentes de la part d’un certain public. Ce n’est toutefois pas assez pour freiner sa sortie de cette boîte dans laquelle on l’a cloitré. «Je suis déjà prêt à ce que certaines personnes soient fâchées d’une éventuelle direction artistique que je vais prendre. Je veux montrer quelque chose de différent. J’veux pas être uniquement un beatmaker, je veux montrer quelque chose qui soit propre à moi», dit l’artiste.

Émancipation physique et artistique

Tommy a fait ses armes en s’inspirant des sombres mélodies et de la basse obscure des artistes de Memphis. Il a déjà révélé qu’il a auparavant tenté de faire de la musique plus ludique et positive, mais n’y arrivait pas. Il se limitait aux accords mélancoliques et mystérieux. Ceci est maintenant chose du passé: il est capable d’étendre sa vision vers de nouveaux horizons plus lumineux!

Il faut dire que sa perception de la vie s’est nettement améliorée en général. Ceci est notamment dû à une opération que Tommy a subie en février dernier. Il avait auparavant la mâchoire trop reculée. Ça lui causait divers malaises: respiration bloquée qui occasionnait entre autres des troubles du sommeil et des difficultés à se nourrir convenablement. «Les médecins m’ont brisé les deux mâchoires et les ont avancées pour débloquer ma gorge, explique-t-il. Ça a tout réglé. Depuis l’opération, je dors mieux, j’ai changé mon alimentation et je peux dormir avec une fille sans qu’elle quitte en pleine nuit à cause des étouffements. Je broie maintenant beaucoup moins de noir. Aussi, depuis que je suis revenu de surgery, je sais faire des beats beaucoup mieux qu’avant.»

Pour tourner la page du trap

La parution totalement indépendante du EP Memphis Confidential Vol 2 en avril 2016, Tommy la perçoit comme une manière de faire plaisir à ses admirateurs de la première heure. «On n’arrêtait pas de me demander si le volume 2 allait sortir. Je savais qu’avec l’opération qui s’en venait je n’allais pas être capable de faire grand-chose pendant un bout. Je me suis dit que j’allais rassembler les projets que j’avais dans ce genre-là pis que j’allais le sortir de manière indépendante», relate le beatmaker.

La mise en ligne de ce projet, c’est aussi pour clore une période de son parcours artistique. «Dans ma tête, y aura pas de volume 3 parce que y a rien qui m’intéresse en ce moment des artistes de Memphis. Ce projet c’est tellement pour fermer un truc. J’ai hâte de faire de la musique plus accélérée», confie-t-il.

L’indépendance absolue encore valide aujourd’hui?

Alors qu’il roule sa bosse comme il le veut en tant qu’artiste indépendant, on aurait tendance à croire que le producteur n’a besoin d’aucune structure externe pour se gérer. Tommy, quant à lui, croit que malgré ce qu’on peut penser, les labels c’est plus que pratique: «Depuis 2010, on a vu un grand nombre d’artistes indépendants qui ont make it. Ça, c’est fini. Avec les services en streaming, les nouvelles lois de YouTube, les trucs de torrents, etc., les labels se sont ajustés aux nouveaux standards de l’industrie. Avec tout ce qui qui touche au copyright, tout se fait take down en 24 heures.» Tandis que les remix d’artistes populaires pouvaient auparavant subsister et lancer des carrières, la machine prend maintenant bien soin de tout bloquer sur Soundcloud, YouTube et autres plateformes du genre.

Les labels ont donc leur part d’attrait pour notre électron libre de la scène montréalaise. «À c’t’heure, y a énormément de bons labels qui font du travail de qualité pour sortir des releases physiques comme le vinyle. C’est ça qui fait vraiment la différence. C’est sûr que moi, j’ai fait ma part de travail en essayant de toujours rester indépendant, mais on a un peu frappé un plafond. À un moment donné, tu commences à avoir besoin d’une équipe pour réaliser ta vision. C’est ça que je suis en train de faire en ce moment. Je suis en train de faire mon passage vers autre chose», décrit le prolifique producer qui a tout récemment annoncé son arrivée sous l’étiquette indie Bromance Records.

Un premier album en préparation

Après le trip web sur Soundcloud, les productions pour d’autres artistes et les projets indépendants, Tommy fait germer l’idée d’un premier album officiel depuis un moment. Il a cru à plusieurs reprises avoir une bonne base pour un tel projet, mais sans que ça mène vers quelque chose de concret. Cette fois-ci, avec le nouveau tournant dans sa vie, Tommy croit être sur une bonne piste. Il est actuellement plutôt avancé dans le processus. «J’ai une vision et des ressources pour pouvoir le faire, affirme-t-il. À partir de ça, le reste va vraiment devenir du découpage. It makes much more sense qu’auparavant.» Semble-t-il que ça pourrait paraître d’ici la fin de 2016 …

Côté production locale, l’enfant prodige montréalais Kaytranada a présenté son premier album 99,9% un peu plus tôt cette année. L’opus a été salué à l’international et a même remporté le très prestigieux Prix Polaris 2016, récompensant le meilleur album canadien. Tommy l’admire. «Il fait de quoi d’incroyable en ce moment. J’ai des aspirations similaires. Je ne veux pas être l’underdog.», prévient-il. Notre star de St-Henri aux ambitions sans limites a définitivement les yeux rivés sur le podium.

Pour l’instant, ses multiples talents l’amènent à collaborer à divers projets, dont quelques escapades dans le monde du jeu vidéo, des productions pour un vocaliste (encore inconnu) et un gros projet personnel! Rester occupé n’est pas un problème pour Tommy. Des annonces officielles s’en viennent bientôt. À suivre.

Surveille les dates de tournée de Tommy avec le producteur français Louis Brodinski, Ils feront un petit le tour des États-Unis cet automne. Si jamais tu te payes des petites vacances sur la côte Est américaine, tu peux passer le voir, ça va lui faire plaisir.

Plusieurs autres collaborations avec les Anticipateurs s’en viennent prochainement. Même si plusieurs morceaux sont sortis dernièrement, Tommy promet la sortie de nouveaux trucs pas moins que légendaires!

Si t’es un gamer dans l’âme, écoute attentivement la trame sonore des nouveaux jeux vidéo à venir dans les prochains mois. Il est possible que t’entendes des sonorités familières!

Garde l’oreille tendue pour l’annonce imminente de son mystérieux prochain gros projet à venir d’ici la fin de l’année sous l’étiquette Bromance Records. Ça sent l’album tout ça!

En attendant, tu peux écouter son plus récent projet : le EP Memphis Confidential Vol 2 sur sa page bandcamp.

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