Il y a souvent des faux débats liés à la programmation de certains festivals. Bien sûr, la sempiternelle question du français et de l’anglais aux FrancoFolies a fait jaser cette année, mais on a aussi droit, épisodiquement, aux grandes questions, comme «qu’est-ce que le Jazz?» ou «qu’est-ce que le Blues?», avec des lettres majuscules devant les genres.
Des puristes pourraient questionner la légitimité d’un spectacle comme celui du rappeur de Détroit Danny Brown et du montréalais Husser, présenté au Métropolis hier. La réelle question à soulever pour cette soirée ne concerne pas la compatibilité du hip-hop avec le jazz, mais plutôt celle du public d’un rap moderne avec une structure rigide de festival.
C’est bête, mais je crois que je n’ai jamais vu le Métropolis aussi vide de ma vie. Et quand même, ce n’est pas comme si Danny Brown était un hurluberlu méconnu du grand public. Bon, peut-être que si pour plusieurs. Mais du haut de ses treize ans de carrière en solo ou en groupe et de ses trois albums acclamés par la critique, on s’attendrait à plus d’engouement. «Les spectacles de hip-hop, d’habitude, ça commence pas mal vers 2 h du matin», de me dire une amie dans la foule. «C’est écrit 20h30 dans la programmation. Pour moi, les gens vont arriver vers 23h, quand ça sera déjà fini», rétorquais-je.
Peut-être aussi que certains, vu la commandite de Molson Canadian, ont cru qu’il s’agissait d’Osheaga et attendent le spectacle au Parc Jean-Drapeau. Même à l’intérieur, la confusion est présente.
Sauf que le Festival de Jazz, c’est le Festival de Jazz, et l’horaire, c’est l’horaire. Alors à 20h30 exactement, arrive sur scène le tiers de la formation montréalaise The Posterz, Nate Husser, accompagné par Ragers comme musicien d’accompagnement. Le rappeur, en bon québécois, se présente sur scène en grand hommage à 2Faces Le Gémeaux et Taktika avec son mic et son forty (ou du moins, une bouteille de Molson Canadian), laissant la tâche du blunt au public.
Le partage entre Ragers et Husser se fait bien. Cependant, le rappeur en solo semble avoir de la difficulté à faire vibrer la majorité de la foule. Mentionnons au passage qu’il s’agit de son premier spectacle sous ce format, ce qui peut expliquer, peut-être, un manque d’aisance qu’il rattrapera avec le temps. Il est facile de croire que Husser prendra du galon lorsque ses deux collègues des Posterz, Joey Sherrett et Kris the $pirit se joindront à lui. Après un départ un peu sur les chapeaux de roue (Sherrett essaie de faire chanter la foule sur l’air de Bulalay (Welcome to the Junga), mais réalise que seulement une dizaine de personnes peuvent suivre, ce qui constitue néanmoins un pourcentage considérable du public présent), la machine embarque et le spectacle gonfle en intensité.
Pendant ce laps de temps important, Husser prouve sa force de emcee et son énergie. Il partage à deux reprises le mosh pit avec le public, créant de grands moments au courant du spectacle. Ses collègues quittent pour lui laisser les deux dernières pièces et déjà, on revoit l’aisance et l’intensité diminuer. Charlotte Cardin partage la scène avec le rappeur, mais arrive sur scène sans grand flafla, disparaît aussi vite qu’elle apparaît et lorsqu’elle s’adresse au public, le fait en anglais. Une décision éditoriale intéressante. Le rappeur croit pouvoir enchaîner quelques titres, mais le Festival lui indique, vers 21h10, que son temps est écoulé.
La salle se remplit, mais les deux étages du Métropolis pourraient quand même se retrouver au complet sur le parterre sans être coincés. Vers 21h40, le DJ accompagnant Brown réchauffe la foule en mettant plusieurs titres trap que le public semble apprécier. Une dizaine de minutes après, Danny Brown arrive sur scène et enchaîne les succès sans répit. On apprécie que le rappeur porte un chandail de Wu Tang Clan, comme le faisait Karim Ouellet lors de son passage à l’émission La Voix. Ce vibrant hommage à la culture québécoise n’est pas passé inaperçu.
Après une demi-heure, il s’adresse à la foule brièvement pour nous saluer et se présenter avant d’embarquer directement sur Grown Up, Kush Coma et d’autres titres qui enflamment la salle.
Au début, je demeure sceptique face à certains choix éditoriaux dans la mise en scène du spectacle. Brown est seul sur scène avec son DJ. Sans hype man, il réussit quand même à tenir ses lignes et dynamiser la foule, mais la scène paraît vide. D’autant plus qu’il n’y a ni projections, ni décor, ni rien. Seulement le emcee sous la ligne de feu et des éclairages stroboscopiques élevés. On remarque cependant que le rappeur a trois mouvements distincts pour remplir la scène. Le premier est celui où il tient son micro serré et son bras gauche en angle, comme un épouvantail.
Le second est celui où il court avec de grands mouvements d’un bout à l’autre de la scène.
Le troisième, comme signature de fin de chanson, il se place droit comme un pic, tire la langue et conjure le mauvais œil sur la foule.
Puisqu’il est seul, on remarque plus ces redondances, mais ce ne sont que de menus détails durant la performance de haut niveau. Après une autre série de hits d’une dizaine de minutes, il intervient auprès de la foule une dernière fois, avant de conclure vers 22h45. Les quinze dernières minutes sont laissées à son DJ qui fait encore un excellent travail pour entretenir la fête. À 23h, les lumières du Metropolis s’allument et, soudainement, le public réalise qu’il aurait dû demander un rappel. Trop peu trop tard, mais on en a assurément eu pour notre argent.
Dommage, quand même, pour la programmation du jazz. Une salle plus comble aurait pu donner un événement encore plus mémorable, mais un concours de circonstances – l’heure, le moment de la semaine – a donné un côté intime probablement non recherché. Peut-être aussi que le Métropolis n’était pas la salle la plus adaptée pour l’artiste qui, dans un autre contexte, aurait pu mettre le feu au Théâtre Fairmount, par exemple. Pour le reste: des choix audacieux et appréciés. Si certains auraient pu préférer un doublé The Posterz et Ragers en première partie afin d’assurer un niveau d’énergie constant, on est très contents de voir les débuts de Husser en solo sur scène, qui promet de faire beaucoup couler d’encre au courant des prochains mois.