Dans un Métropolis aux allures monastiques, Cat Power a offert hier dans le cadre du Festival de Jazz de Montréal, une prestation digne de Jean Leloup dans ses années les plus floues. Dans une acceptation solennelle généralisée de la foule Chan Marshall, de son vrai nom, a enchaîné ses succès plus et moins connus en s’excusant d’un «sorry» essoufflé à une vitesse approximative de 1/2 sorry par minute.
C’est le blues rock sensuel de Jesse Mac Cormack qui ouvre le bal. «J’pense que c’est la première fois que je joue au Festival de Jazz», affirme-t-il, incertain de son agenda des dernières années.
Il offre des chansons connues et d’autres qui nous laissent imaginer le prochain EP de l’artiste prévu à l’automne. Sur ces dernières, les percussions se font vives, prenant un espace inhabituel, mais plaisant.
Muni d’un sportif fanny pack/sac banane durant toute la prestation, on ne sait que faire sinon se demander ce qu’il trimbale avec lui de façon si sécuritaire: ses sous? ses clés? de la petite poudre de talc pour faire de l’escalade? des collations en cas de fringale impromptue? Nul ne le sait.
Lorsqu’il interprète Repeat, Jesse ne casse pas les amplis tel que prévu ici:
Il termine son set avec Too Far Into. Comme à chaque fois qu’il interprète ses chansons déjà connues en show, on assiste à une nouvelle expérience auditive à mi-chemin entre le jam et la chanson d’origine. Les basses sont dans le tapis; tous les spectateurs subissent une vibration profonde des entrailles. Ça donne vraiment l’impression de faire partie du show.
On peut littéralement entendre une mouche voler (ou le gars grippé d’à côté renifler) quand Cat Power entame sa première pièce.
Amorçant la perfo à la guitare, elle laisse ses doigts parfois maladroits faire des accrochages imprévus. Elle remédie à la situation en s’excusant de «sorry» nerveux et en envoyant sa tignasse par-dessus ses yeux.
Elle se déplace ensuite au piano où elle gagne un peu en assurance. Let Me Go, I Don’t Blame You, Norma Jean, Free, The Greatest, Names sont au nombre des succès qu’elle enchaîne en lançant des regards désolés à la foule et en sirotant un thé qui calme sa toux sporadique.
En résulte une prestation erratique gorgée d’erreurs pardonnées à la seconde où elles sont commises. Difficile d’en vouloir à celle qui s’excuse au beau milieu des chansons, celle que tout le monde va finir par aimer quand même. Cat Power était en solo hier, mais il y a tant d’instruments entre sa cage thoracique et sa bouche qu’on dirait qu’un orchestre entier se loge près de ses amygdales.
La foule sous hypnose pardonne les accrochages de cordes, les accords plus ou moins justes, les toussotements au milieu des chansons, les paroles oubliées au détour d’un refrain. Tous ensemble on aurait pu excuser bien pire: un instrument lancé dans la foule et provoquant le coma de quelques spectateurs, un déversement d’égouts en guise de stunt olfactif, l’arrivée d’un troupeau de pitbulls féroces, etc.
Après avoir remonté ses pantalons, cachée derrière son piano, elle revient à la guitare avec Great Expectations, The Moon, Say, We All Die. Afin d’éviter d’obtenir remerciements par applaudissements, Cat Power enchaîne les morceaux, ne s’accorde pas le répit de l’ovation.
Elle se lance ensuite dans une anecdote qui se déroule à Paris dans un moment de désespoir et qui implique une chanson qui joue dans son subconscient et qui parle de framboises. Elle chante ensuite Framboise je t’aime avant de poursuivre avec Good Woman et Werewolf.
Il n’y a pas beaucoup de gens qui osent briser l’harmonie et la quiétude qui enveloppent le Métropolis, mais les seuls qui sortent leurs téléphones sont ceux qui ne savent pas gérer le flash automatique.
Sans rappel et en s’excusant encore, elle termine en donnant à un jeune homme de la foule un papier sorti de sa poche: une copie de son setlist ou son numéro de chambre d’hôtel, on ne le saura jamais.