Brown
Brown
Disques 7e Ciel
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Y vont même pas le savoir et même pas le voir et, à limite, voudront même pas le croire, mais le premier opus du trio Brown a enfin paru. Un album qui crie Brown Power et qui donne une voix aux gens pris entre l’arbre et l’écorce.
Brown est un album mené par les frères David et Gregory Beaudin-Kerr (respectivement Jamai du K6A et Snail Kid de Dead Obies) ainsi que leur père, le chanteur et guitariste Robin Kerr. À ne pas confondre avec Robin Kerr, interprète d’Elros dans le film Le Hobbit : La Désolation de Smaug.
Il n’en demeure pas moins que la proposition musicale a quelque chose qui peut rappeler nos bons vieux hobbits. Brown (la formation comme l’album) traite de la question complexe de l’identité québécoise. Kerr est un Jamaïcain anglophone et ses deux enfants ont une mère blanche québécoise francophone. Deux jeunes qui grandissent, tel qu’évoqué dans le premier titre de l’album, comme des Larry Bird ou des P.K. Subban: noirs aux yeux des blancs, mais blancs aux yeux des noirs. Un peu comme les hobbits qui sont en quelque sorte à mi-chemin entre les Humains et les Nains. Le parallèle avec la saga de Tolkien s’arrête ici.
Leur réalité est analogue à celle de nombreux foyers canadiens à l’époque du multiculturalisme. Le discours ambiant est pour l’intégration et applaudit que de telles hybridations puissent se passer, mais, dans les faits, la situation n’est pas si facile. Combien real s’attaque au malaise de se situer au milieu de deux cultures qui sont, en quelque sorte hermétiques. Le tout fait écho à des propos partagés par des rappeurs américains comme Childish Gambino.
(But niggas got my feelin’ I ain’t black enough to go to church / Culture shock at barber shops cause I ain’t hood enough / We all look the same to the cops, ain’t that good enough?
(Hold You Down))
La différence, cependant, c’est qu’au lieu de parler de ces problématiques dans un titre un peu faiblard, Brown produit un album complet autour de ce sujet. Un album qui, de surcroît, frappe fort et juste. Il aurait été surprenant qu’il en soit autrement, d’ailleurs. Avec deux figures proéminentes du rap québ, alliés avec Toast Dawg aux arrangements, l’album était destiné à la grandeur. Et malgré les attentes très élevées, le trio parvient tout de même à nous surprendre.
En mélangeant anglais, français, dancehall, soul, trap, rythmes brésiliens et rap plus «conventionnel», Brown frappe partout. L’attention médiatique actuelle sur Dead Obies va probablement attirer certains fans de Snail vers cet album, ce qui permettra de ramener Jam dans la mire de plusieurs. Chose avantageuse, car ce dernier est au sommet de sa forme. Les interventions toujours efficaces de Robin Kerr viennent ajouter une couleur unique que de l’échantillonnage aurait de la difficulté à recréer. On donnera un petit bémol à sa pièce solo, Lady, qui, malgré toute son efficacité et son vers d’oreille, s’inscrit un peu moins bien dans l’album que les autres titres. Elle demeure nécessaire dans le propos de l’album, mais sa nature la rend difficile à utiliser. Nous comprenons et pardonnons.
L’album homonyme de Brown n’est assurément pas un album facile d’approche. Son propos choque et sa signature musicale unique se distingue nettement de ce qui se produit ailleurs au Québec en ce moment. Cependant, quiconque y donne un peu de temps y trouvera une œuvre à la fois personnelle et politique, permettant de donner une voix aux laissés-pour-compte, les muets, ceux qui avalent sans rouspéter. Une œuvre foncièrement hip-hop dans une période où, en tant que communauté, on a grand besoin de se faire remettre à notre place.