Manu Militari
Océan
7ième ciel
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À ce stade-ci de sa carrière dans l’univers du rap queb, Manu Militari se prive d’introduction. De jeune rappeur inconnu de Côtes-des-Neiges, il s’est imposé au fil de ses albums comme un rappeur conscient qui ne fait pas dans la dentelle. Trois ans après la parution de Marée humaine, le MC propose désormais Océan, son quatrième opus. Manu a fait le plein de vécu et présente son nouveau projet comme un disque ambitieux par ses réflexions. C’est avec le premier extrait posé et réfléchi Volonté que Manu nous donne un avant-goût. Est-ce qu’il pousse son art plus loin?
D’entrée de jeu, on reconnait clairement le Manu Militari qui a gagné le cœur de ses fidèles. Ce qui saisit, c’est que malgré son flow très monocorde, on sent toujours dans sa voix une authenticité non-négociable. Il réussit avec ses textes bien ficelés à peindre des images saisissantes pleines de realness. Sur Océan, le rappeur de CDN nous transporte entre les deux oreilles de personnages situés à des coins variés du globe : un arabe qui rêve de marier une occidentale pour se refaire une vie ailleurs (Mami Chula), un Colombien qui veut transformer ses peines en bonheur (L’Alchimiste), ceux qui rêvent grand mais qui restent aux prises avec leur passé criminel (La descente), etc. Il réussit toujours aussi bien à juxtaposer des contradictions de manière à faire réfléchir, mais jamais de manière condescendante.
La pertinence et l’intérêt de ses propos réussissent à estomper les occasionnels et semi-impardonnables usages d’autotune à saveur 2007. Chaque chanson est une nouvelle histoire couchée sur une tapisserie homogène de beats. Malgré des lignes qui font parfois un peu involontairement rire («Ils sont crustacés, je me sens béluga», sur la pièce-titre), les faux pas sont assez rares. Manu est un MC réfléchi qui fait son œuvre comme il l’entend, sans compromis.
Le tour de force de l’album se situe toutefois vers la fin: la pièce Peace and Love. Sur celle-ci, Manu expose son background. Sur un fond de sincérité amoureuse à l’époque de la révolution sexuelle, Manu raconte avec une certaine vulnérabilité (mais une bonne dose d’amertume) l’histoire passionnée de ses deux parents hippies qui se sont rencontrés à l’adolescence. Le génie de cette pièce réside dans l’habileté avec laquelle il fait progressivement grimper la tension à travers les déchirants déboires familiaux dans lesquels Manu est devenu l’homme qu’il est. Probablement un de ses morceaux les plus saisissants jusqu’ici.
Dix ans et des poussières après parution de son premier single, Automne 2005, Manu se retrouve avec une panoplie de projets et d’expériences derrière la cravate qui lui valent une position redoutable dans les sentiers du hip-hop local. Ce nouvel opus ne fait que reconfirmer son statut actuel. Alors que, musicalement, Manu se retrouve sur des productions généralement correctes (sans plus), il réussit encore à imposer ses textes engagés et puissants qui ont fait sa réputation. En ne réinventant pas sa recette, il raconte des histoires intéressantes qui vont assurément plaire à son bassin de fans et autres curieux. Même si on se demande combien de fois de suite il pourra refaire ce tour, il est évident qu’il a sa niche. Chose certaine, il n’est pas encore en panne d’inspiration.