Tasse d’eau chaude à la main, j’entraîne ma coloc et sa bière de route rue de Bleury. Le vent de face crispe nos visages alors que nous ouvrons la porte d’entrée de la salle de spectacle.

Nous prenons place au premier rang devant une scène où se trouve une cage d’oiseaux  qui emprisonne la plus célèbre invention d’Edison. Le Gesù, rempli par tous ses billets vendus, attend patiemment que résonne la harpe.

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La jeune femme entre en scène vêtue d’une robe blanche sortie d’une autre époque. Intriguée, je l’observe souffler dans son instrument. Le son produit se répète en boucle jusqu’aux premières notes de la harpe  : on passe de l’intime au grandiose. Les musiciens arrivent au compte-gouttes durant la première pièce et l’habillent de textures qui rehaussent avec précision les perles mélodiques qui s’y trouvent. On découvre une voix enveloppée de timidité qui éclate en couleurs lors de ses détours par les aigus qu’elle domine. Elle s’amalgame à Odgen de manière évidente. La seule anicroche à noter sur le plan technique c’est que l’on perd parfois ladite voix quand les pièces grimpent en volume.

On découvre de morceau en morceau qu’en plus de maîtriser cet instrument massif, l’harpiste a décidément beaucoup de talent en composition. Ses musiciens sont tout aussi agréables à entendre tellement ils transcendent leurs instruments pour ne garder que la pureté du son qu’ils déposent avec parcimonie sur la structure. Le batteur excelle à faire varier l’intensité des dynamiques mouvantes et tient bien les commandes de l’ambiance. Même lorsqu’il ne reste que la chanteuse et Ogden, on sent que tout le groupe les soutient ne serait-ce que par quelques notes de synthétiseur ou par un accord de guitare. Un quatuor à cordes vient se joindre à eux et sacralise le tout. Le public est conquis.

Malheureusement, je sors vite de l’onirisme par lequel  je me laissais bercer lorsqu’elle s’adresse à nous d’une manière timidement malhabile. La qualité du spectacle contraste avec sa manière de communiquer avec le public . La réponse à cette distance semble parfois se trouver au coeur des paroles de ses chansons qui prennent des tournures de confessions. Elle exacerbe doutes et insécurités, les imageant d’autant de manières qu’il y a de cordes à son harpe. Il y a un vrai beau paradoxe entre ce qu’elle dit et ce qu’elle joue. Entre la musique aérienne qui respire et les serrements de coeur pleins d’angoisse.

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À force d’interventions, on la sent plus à l’aise et confiante au point où on peut réellement sentir sa candeur. Elle poursuit avec la pièce Dream qui fait presque monter mes larmes. Les jeux de lumières savamment disposés au sol viennent doucement amplifier l’atmosphère qui se dégage de cette berceuse moderne. Ce genre d’idée simple souligne une mise en scène au point et consciemment épurée. La prestation passe en un éclair et on se retrouve à la fin du spectacle. Émilie Kahn y va d’une liste de remerciements écrits sur une feuille qui semble arrachée d’un calepin. À travers la gratitude, elle égraine les noms de ceux et celles qui lui ont permis de réaliser cet album avec autant d’amour que d’efforts.

Ce soir, une jeune artiste lance son premier opus 10 000  et est désormais solidement armée pour conquérir le monde. Déjà, une année chargée s’annonce pour elle alors qu’elle annonçait dernièrement qu’elle ferait son tour de chant par les États-Unis avant de traverser l’Atlantique en compagnie des tout aussi prodigieux membres de Half Moon Run. À l’image de la cage remplie de lumière, Émilie Kahn réussit à transpercer les barreaux avec la même force qui les érigent. Comme le dit si bien Leonard Cohen : «There is a crack, a crack in everything : that’s how the light gets in» .

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