David and the Woods
De la poussière orange à la neige opalescente
Cuchabata Records
***1/2
Le campivallensien David Dugas Dion s’est distingué depuis quelques années comme un personnage incontournable de la scène du rock indépendant québécois. À la tête du label Cuchabata Records et anciennement derrière les fûts dans Crabe, le musicien montre son influence en emmenant une touche unique, cherchant toujours à sortir des terrains battus avec les différents projets qu’il met de l’avant. C’est cependant avec ses projets solos (David and the Woods, David and the Mountain) qu’on peut reconnaître son apport concret au paysage musical.
Le dernier album de sa formation David and the Woods, intitulé De la poussière orange à la neige opalescente démontre bien l’unicité de sa démarche à travers un jeu de textures, de ruptures et de continuités dans des pièces généralement rapides et énergiques. Si la formation, complétée par François Dubé de Pop Goes à la batterie et Maxime Deschênes, que l’on a connu dans Amantani, à la basse, nous offre des morceaux d’une grande intensité comme l’introductive Écailles de poisson ou le premier single Célestes, elle explore aussi les autres genres avec une capacité d’adaptation remarquable. Les années Reagan nous prend au dépourvu avec son entrée en matière plutôt posée et son pont noise et Uluburun s’approche plus du folk psychédélique que du rock abrasif entendu sur le reste de l’album. Toutes ces manœuvres sont effectuées en se revirant sur un dix sous, avec adresse et bon goût.
Ces changements de formule ne sont pas sans rappeler les différents éléments géographiques exploités par David Dugas Dion dans ses projets. Les Bois, où il présente son rock tranchant, et la Montagne, projet plus électronique et expérimental, sont des locations qui ne sont pas sans rappeler les différentes forces des éléments qu’on peut retrouver dans un jeu de Magic : The Gathering. De fait, il ne manquerait qu’un « …and the Island », « …and the Plain » et « …and the Swamp » pour compléter le tout. Et ce que nous disions plus haut sur les ruptures de ton n’est pas étranger aux structures internes de certaines cartes vertes avec leurs bonis de force et d’endurance soudains.
L’allégorie ne s’arrête pas là. Il ne fait aucun doute que l’album De la poussière orange à la neige opalescente est adressé à des joueurs expérimentés. Tel qu’évoqué plus haut, les textures sonores sont un des éléments les plus importants dans l’œuvre de David and the Woods. Contrairement à ce à quoi nous a habitué la scène rock montréalaise depuis les dix dernières années, la partie vocale est très nette sur l’album. Les musiciens ont troqué la fameuse réverbération pour une harmonisation presque constante de la mélodie chantée. La voix n’est donc plus un élément camouflé dans une masse sonore, mais un son distinctif qui porte des paroles très claires.
De la poussière orange à la neige opalescente ne se présente donc pas comme un album qu’on peut écouter d’une oreille distraite, mais comme un exercice dans lequel on peut plonger à fond. Et c’est en s’y frottant avec sérieux que l’on peut suivre les musiciens dans leurs virages en tête d’épingle et leurs ponctuations rythmiques parfois alambiquées. À la manière d’une partie de cartes où le joueur distrait ne porte pas attention au jeu et, sans crier gare, se fait rapidement décimer par un Elderscale Wurm. Par exemple.
En somme, l’album vaut le détour pour les oreilles attentives prêtes à donner 38 minutes en vue d’une expérience sylvestre, quelque peu déstabilisante mais très satisfaisante pour l’auditeur en quête d’un son différent dans le rock québécois.