Né dans le West Island, le rappeur Woodman a très rapidement su qu’il devait faire des efforts particuliers pour faire voyager son art. Inspiré par son père musicien et forgé par la réalité anglophone du Québec, il n’a jamais cherché à se dénaturer pour plaire à qui que ce soit: il est le produit de son environnement.
Sa soif de conquérir a notamment modelé son vif esprit de compétition. C’est cette énergie qui lui a permis de mettre les pieds dans l’arène du battle rap, dans laquelle il a toujours su laisser sa marque avec brio. Sa détermination l’a également mené à partager la scène avec des artistes cultes tels que Cormega, R.A. the Rugged Man, CunninLynguists et Tonedeff. Ses aspirations l’ont transporté de sa chambre jusqu’à Paris, en passant par Toronto, Vancouver et bien sûr Montréal. Maintenant âgé de 29 ans, le prolifique rappeur compte une panoplie de battles, quelques albums et une notoriété underground qui traverse les cultures.
C’est autour d’un pichet dans son confort familier à Ste-Anne-de-Bellevue que j’ai pu m’entretenir avec le rappeur anglophone pour creuser un peu plus profondément dans le personnage. Une entrevue intime avec Woodman, un humble MC à l’inébranlable détermination de réaliser ses ambitions
Quand est-ce que tu t’es intéressé au hip-hop pour la première fois et qu’est-ce qui t’attirait là-dedans?
J’étais b-boy quand j’avais environ 13-14 ans, donc j’ai toujours eu un intérêt pour la culture hip-hop en général. Graduellement, j’ai commencé à faire du freestyle. Je trouvais que je commençais à développer de bonnes idées, de bons concepts, donc pour ne pas oublier mes affaires, j’ai commencé à écrire. Après, j’ai appris à structurer et écrire des chansons. J’ai un cousin qui avait beaucoup d’albums; il m’a fait découvrir KRS-One, Rakim, etc. Il était aussi un hardcore fan de Wu-Tang, c’est devenu un groupe marquant pour moi.
Tu sors tes propres projets en solo et tu es très actif sur le circuit battle rap francophone et anglophone. Est-ce que tu te vois plus comme un rappeur qui clash ou un clasheur qui rap?
Je suis un battle rapper qui fait de la musique. J’ai plus de facilité à construire une chanson et j’ai plus de satisfaction à faire de la musique, mais dès mes débuts dans le rap, j’aimais l’aspect freestyle battle. Je suis une personne très compétitive. C’est cet aspect-là qui m’a attiré et qui m’a fait développer mes skills.
T’as récemment traversé l’Atlantique pour aller battle dans la ligue Rap Contenders de Paris. Comment ça s’est passé et qu’est-ce que ça représentait pour toi cette expérience?
C’était malade! J’étais à l’aise, ça s’est super bien passé. Je trouve que j’ai dominé. J’étais super prêt. C’était un battle en anglais contre un Américain nommé Uno Lavoz. C’était le premier battle anglophone au RC. À la base, j’aurais préféré affronter un Français pour que les gens sur place puissent me comprendre, mais on m’a proposé ce match-up là. Uno Lavoz, je le connaissais, il a déjà battle à travers le monde. Je ne voulais pas cracher sur cette chance-là non plus.
T’as un style agressif et confiant quand tu battle. Est-ce que t’es toujours de même ? Qu’est-ce qui se passe dans ta tête quand tu es sur scène?
Mon approche a changé depuis les derniers battles. Mes premiers au WordUp!, c’était comme si je m’en allais à la guerre. En y allant comme ça, j’ai remarqué que je me mettais trop de pression. Je voulais avoir plus de plaisir à le faire. Maintenant, j’y vais pour enjoy un peu plus. C’est vraiment dans ma tête. Y a pas de véritable haine dans le fond.
As-tu déjà eu un battle sincèrement hargneux ou t’es toujours bon joueur avec tes adversaires? Est-ce qu’il y a quelqu’un que tu rêves d’humilier?
À mes débuts, j’étais plus hargneux. Mon premier battle contre Lyricest, il avait fait un callout et ça avait allumé la mèche en moi. Aujourd’hui, si on me faisait ça, je m’en foutrais. Avant, je me nourrissais plus de l’animosité mais maintenant, je n’ai plus besoin de ça pour me motiver. Sinon il y a Loe Pesci, un autre rappeur anglophone de Montréal. Il ne m’a pas laissé ma chance quand il organisait le KOTD (ligue canadienne) de Montréal. Il a laissé du monde qu’il connaissait moins prendre la place, et moi, il ne m’a juste jamais répondu. Il me lance des flèches des fois subtilement aussi. Lui, c’est quelqu’un à qui j’aimerais peut-être remettre les pendules à l’heure, mais je sais qu’il ne veut pas me donner la chance de le faire.
Le WordUp Génération commence à se mettre en branle avec les callout et tout. Est-ce qu’on peut s’attendre à t’y voir au mois d’août?
J’espère, mais pour l’instant je n’ai pas de match-up. FiligraNn m’en a proposé quelques-uns, mais ils ne m’intéressaient pas. Ceux que je voulais affronter, comme Lil Deezy par exemple, ne sont pas disponibles.
Est-ce que tu sens qu’au niveau battle rap il te reste des choses à accomplir?
J’avais une checklist à faire. J’ai fait des battles dans toutes les ligues auxquelles je voulais participer au moins une fois, ici comme ailleurs. Sinon, j’aimerais participer à un battle 3 contre 3 un jour, ou quelque chose de thématique.
Tu t’es plus récemment lié avec le clasheur Freddy Gruesum sur tes projets et dans la vie. Qu’est-ce que tu dis aux gens qui disent que son style a influencé le tien en battle?
Je tiens à le dire, je ghostwrite TOUS les battles de Freddy Gruesum! Mais non, je trouve ça drôle. Faudrait pas que ces gens-là écoutent nos soirées de freestyle. On est souvent ensemble et on prépare nos battles en même temps. On freestyle des trucs, je démarre un pattern, il va ajouter une suggestion. Si quelque chose est wack, on se le fait dire. Sauf Freddy. Lui, si tu lui dis que c’est wack, il le garde.
Est-ce qu’on peut s’attendre à plus de collaborations avec Freddy Gruesum, Crack-A-Starr, Dony S, Nino Ice?
Moi et Freddy on fait de la musique ensemble, principalement sur nos projets respectifs. Aussi, je prépare actuellement aussi un EP avec Nino Ice. Aussitôt que ça sort, je mets ça sur bandcamp. Ça risque d’être un projet de 6 ou 7 tracks. Freddy va être là-dessus aussi. Je vais faire un featuring sur le prochain mixtape de Freddy également.
Côté musique, le rap au Québec connait un certain virage avec les albums de LLA, Dead Obies, Alaclair. Sens-tu que, pour attirer l’attention actuellement, il faut faire quelque chose qui se démarque du rap traditionnel?
Moi je crois que pour se démarquer, ça prend un gimmick ou une équipe qui te soutient. Il faut une équipe qui fait ta promo, qui booke tes spectacles, qui organise le tournage de tes vidéoclips. Peu importe le genre de musique, ça a la possibilité de marcher. Si t’es un artiste indépendant, c’est plus difficile d’atteindre tous les trucs qu’eux accomplissent parce que tu payes de ta propre poche.
C’est quoi la réalité d’un artiste anglophone dans un marché plutôt francophone?
C’est certain que c’est difficile de se démarquer au Québec. La majorité des gens qui me supportent sont francophones, j’en suis très reconnaissant. Je suis un produit de mon environnement, je suis un anglophone au Québec. Je représente qui je suis. Moi, aller vers le marché américain, c’est quelque chose qui m’intéresse plus ou moins.
Tu sors tous tes projets de manière indépendante. Est-ce que tu trouves que les labels c’est quelque chose de facultatif en 2015?
Ça dépend des buts des artistes. Mon prochain album, intitulé Assimilation, sera distribué en magasins parce que j’avais comme objectif personnel de sortir au moins un album en magasin. C’est sûrement le dernier projet pour lequel je vais entreprendre ces démarches-là. À partir de là, je vais mettre tous mes trucs sur bandcamp.
Tu as déjà promis un projet francophone. Est-ce que c’est encore en préparation? Est-ce que le projet va voir le jour?
Éventuellement j’aimerais ça. Je vais faire un verse en français pour la prochaine compilation HHQC. Sinon, il faudrait vraiment que je me mind à produire un projet en français. Moi, à la base, ça se passe vraiment en anglais dans ma tête. Il faudrait que je me concentre pour la conceptualisation des chansons. Ça me prendrait plus de temps.
Ton prochain album Assimilation, se différencie-t-il des autres faits précédemment? Comment est-ce qu’il a pris forme?
Dans le fond, Assimilation, c’est le prequel de Product of the Machine, mon autre album qui est paru il y a trois ans. Product of the Machine, c’était l’histoire de moi qui se transforme en machine de rap pour se révolter contre le système. C’est métaphorique. C’est pour exprimer la haine que j’ai contre l’industrie, le système juridique. Assimilation, c’est ce qui a mené à ça.
Dans ce nouvel album, c’est comme si tu faisais une évaluation psychologique de toi-même. Est-ce que tu as récemment voulu prendre du recul sur ton vécu?
C’était pour le concept, mais ça marchait avec les chansons. La majorité des chansons de cet album, gravitent pas mal autour de ma relation avec les autres et mes sentiments par rapport à ça. C’est plus intime comme album. Assimilation, c’est ce qui a poussé l’humain à vouloir devenir machine. Il veut devenir de glace, ne plus rien sentir.
Lors de ton passage à Paris, tu as tourné un clip pour un morceau de ce prochain album. Comment ça s’est passé et quand est-ce qu’on pourra voir le résultat final?
Je savais d’avance que j’allais là-bas pour le Rap Contenders 9 donc j’ai essayé de me plugger le plus de trucs, musicalement. Le gars chez qui je restais c’est celui qui filme et qui monte les vidéos des RC. Je lui ai envoyé quatre chansons de mon album pour lesquelles je pensais faire un vidéoclip et je lui demandé de choisir celle qui l’inspirait le plus. Il a finalement choisi celle que j’espérais qu’il choisisse: Slave To The Night. C’est surtout lui qui a trouvé les idées. Il ne voulait pas me filmer devant la tour Eiffel ou l’Arc de Triomphe, ça fait trop carte postale. Il a trouvé un concept et on a fait ça. Ça va sortir en même temps que la sortie de l’album, soit vers l’automne.
Dans le meilleur des mondes, qu’est-ce qu’on peut souhaiter pour Woodman?
5000 $ de cachet au WordUp! Battles (rires). En ce moment, je suis assez épanoui avec les accomplissements que j’ai. J’aime rencontrer du nouveau monde, connecter avec des artistes et voir comment ils perçoivent leur art. Ça, c’est quelque chose que je veux faire pour toujours.
Surveillez Assimilation qui paraîtra à l’automne. Le battle anglophone de Woodman qu’il a fait au Rap Contenders fera quant à lui son apparition en ligne prochainement.
Entre temps, vous pouvez écouter les morceaux de Woodman sur sa page bandcamp.
Le premier extrait d’Assimilation, la pièce State of the Art est là.