Le groupe de rap originaire de la rive-sud de Montréal, les Dead Obies, lançait leur tout premier album, produit sur le label Bonsound mercredi soir au Cabaret du Mile-End.

Il fallait arriver tôt au Cabaret du Mile-End mercredi soir si l’on voulait vraiment assister à ce fameux lancement. C’est ce que je croyais faire en arrivant tout juste passé 19:30, alors que le démarrage était prévu pour 21:00. Erreur. Si ce n’eut pas été d’une amie qui trônait au tout début de l’énorme line-up, s’apprêtant tout juste à entrer lorsque j’arrivais (et qui me fit entrer avec elle sous les hués générales), cette chronique n’aurait jamais vu le jour et c’eut été triste, mais pas autant que moi : retour sur une soirée presque parfaite.

En entrant, c’est la scène que je remarque en premier; juste derrière le booth du DJ, une grande affiche plaquée du logo des Dead Obies, sur fond noir, deux mètres par trois. De chaque côté trônent deux longs écrans sur lesquelles seront projetées de multiples vidéos – filles nues, scènes de jeux vidéo, footage psychélique – pendant la prestation des six comparses qui ne lésinent décidément jamais sur l’esthétique.

Vers 21h30 – un show qui commence avec trente minutes de retard est un show qui commence en avance – les Dead Obies s’avancent sur la scène devant une salle archi-comble avec assurance et entament les premières mesures du premier morceau de leur premier album. Si cela fait beaucoup de premières fois, ce n’est visiblement pas leurs premiers pas en matière de performance scénique, eux qui enfilent les verses à tour de rôle avec un aplomb à tout casser.

Joe RCA joue l’anonymat, la tête enfoncée sous un capuchon et une paire de lunettes fumées devant les yeux; Yes McCan est accoutré comme une Geisha; Snail Kid porte un large chapeau de pêcheur et la veste assortie; OG Bear semble arborer une camisole en cuir par-dessus lequel pend un médaillon qui est peut-être ostentatoire, mais j’en doute; TwentySome ne déroge pas à son éternelle casquette vissée sur la tête et VNCE le Deejay est habillé de tout noir, chapeau à large bord et bandana remonté jusque sous les yeux de telle sorte que c’aurait pu être un imposteur, on ne l’aurait jamais su (on l’aurait su : inimitable, le VNCE). Les gars ont beau venir du sud sale, ils étaient sur leur trente-et-un hier soir à n’y pas douter.

Le Cabaret du Mile-End semblait se prêter parfaitement à un spectacle (post)-rap, avec son plafond bas qui faisait rebondir la lourde basse de VNCE et sa, somme toute, petite superficie. Les décibels entrèrent dans les oreilles satisfaites des mélomanes au même rythme que la fumée illicite leur entra dans les narines, provenant des quatre coins de la salle (j’écris ce texte sous influence bien que n’ayant pas tenu un seul joint dans mes mains de toute la soirée).

Les pièces s’enchaînèrent dans le même ordre que celui sur l’album, disponible en ligne depuis mardi. Et comme nous avions affaire ici à une foule d’habitués, eh bien une partie d’entre elle connaissait déjà les paroles qu’elle prenait plaisir à chanter avec les gars sur scène : « ta bitch est su’l chat / a veut fuck ac moé », pouvait-on entendre une masse de gens crier en choeur vers 23:27 sur le parterre du Cabaret du Mile-End, où il faisait nettement plus chaud que dehors, où une ligne de badauds attendaient toujours, remplis d’espoir de peut-être rentrer.

Juste avant Dead Zeppelin, les cinq rappeurs et le DJ quittèrent la scène et revinrent dans un nouvel accoutrement, que je ne vous décrirai pas à nouveau ici, me contentant de vous indiquer qu’il y eut un retour dans le temps de quelques décennies et que VNCE le Deejay portait une chemise fleurie et que sur la tête de Joe RCA trônait à présent un chapeau couvert de tie-dyes.

Enthousiaste, YesMcCan a commencé à raconter que l’an passé, à la même date, le groupe se produisait, inconnu, devant 20 personnes dans une salle qui l’était tout autant : « C’était à ma fête », se rappelle-t-il avec émotion, avant d’être coupé par le beat tranchant et son compagnon Bear qui entame les premières lignes de la prochaine chanson. « Je vous raconterai ça plus tard », s’excuse-t-il avant d’attaquer le morceau en faisant mine de rien.

Nous aussi, YesMccan, on est content pour vous. On est content que vous vous produisiez désormais devant des salles bondées, que vous soyez signés sur la même étiquette que Radio Radio et Lisa Leblanc, seulement un an et des poussières après avoir formé le groupe, que vous fassiez du hip-hop québécois bien foutu, peu importe s’il est en français ou en franglais, que vous pondiez des textes sincères et bien ficelés, que votre DJ soit professionnel au point de voir son travail qualifié d’« excellent » par le mélomane Alain Brunet de Cyberpresse, bref que vous remettiez un peu de couleur dans ce hip-hop québécois en qui nous étions sur le point de perdre foi.

Et puis ce qui devait arriver arriva : la toute dernière trame, Tony Hawk, fit entendre ses premières notes. La foule s’active, bouge, saute, en quelques secondes un trash s’organise; c’est le délire, les corps s’entrechoquent, je tombe à la renverse, reçoit un coup dans les côtes, me relève, perd mon Vans droit, le retrouve, retombe, perd mon Vans gauche, ne le retrouve pas.

Je me tiens à côté d’un des portiers, trempé de sueur quelques minutes après la fin, à le questionner sur l’achalandage de la soirée. 450 personnes se sont pointées, et au moins deux cents autres ont attendu en vain sur le trottoir, me révèle-t-il en mentionnant au passage que la capacité de la salle est de 427 personnes, pas une de plus. Il me fixe et me décoche un clin d’oeil complice.

Une fille s’approche alors avec quelque chose dans les mains, qu’elle lève au niveau de mon visage. C’est un Vans gris, le mien.

Me voici donc maintenant bien chaussé pour vous annoncer que les Dead Obies sont lancés, comme leur album, et que peu de choses semblent pouvoir se mettre en travers du chemin de croix de nos six Jésus en route vers de mystérieux sommets.

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