Au coin de Rachel et St-Laurent, dans une camionnette familiale, on m’invite à prendre place sur le siège du conducteur pour « conduire » une entrevue avec Charles L. (voix), qui partage le siège passager avec son caméraman, et Charles E. (piano), Didier B. (batterie), Andy B. (claviers) et Félix B. (guitares) qui fusionnent dans l’intimité de la banquette du milieu.
Après plusieurs détours dans les campagnes sherbrookoises, Lackofsleep s’amène avec Woods, un premier album, huit chansons qui donnent envie de toucher du bois pour une prochaine parution. « On n’y avait pas pensé avant Sherbrooklyn, mais c’est certain qu’on aurait envisagé de faire un disque ensemble, dit Charles L. Le concours a fait avancer les choses plus rapidement, mais on savait au fond que l’album était la prochaine étape ». Lackofsleep a remporté en 2011 le concours musical régional Sherbrooklyn, visant à remettre une bourse de 10 000 $ à un groupe sherbrookois afin qu’il puisse commencer à consolider des projets plus sérieux.
Woods est tout ce qu’il y a de plus authentique, puisqu’il s’agit des pièces entendues en spectacle à l’état pur. « Notre album est une version studio de notre spectacle parce qu’on n’avait pas de réalisateur, explique le chanteur. Ce qui est intéressant, c’est qu’en studio on a pu ajouter des sons parce que les gars pouvaient jouer de leur propre instrument et du cor français également. »
Alors qu’il était à la tête d’un trio folk acoustique nommé les b.e.t.a.l.o.v.e.r.s, on entendait régulièrement Charles Lavoie dans les restos et les bars de Sherbrooke, mais nous étions loin de pouvoir déceler l’énergie — palpable dans les pièces du nouveau groupe — qui pouvait également émerger du chanteur. « On avait tous des projets connexes, on jammait dans un loft pour des sessions mensuelles que je faisais avec divers musiciens et Andy est arrivé dans son propre appartement et il a branché ses claviers, » raconte Charles L.
Le lancement sherbrookois de l’album a vu renaître un lieu mythique de la musique émergente à Sherbrooke : le Téléphone Rouge, un bar musical dorénavant fermé qui a vu éclore plusieurs talents locaux. « Ça a permis de rendre le moment encore plus unique, explique Charles E. Les gens nous ont demandé comment on avait procédé. Les groupes voulaient tous savoir comment faire pour pouvoir y jouer aussi le temps d’une soirée. » Pour quiconque ayant vécu les belles années du Téléphone Rouge, c’était un lancement magique.
Woods est sorti d’où exactement ? Pas forcément du bois, ni de la campagne estrienne. « On s’inspire de la nature, des fleurs et surtout de Francis Reddy, confie Andy. Quand on est ready avant un spectacle, on se rend compte que Francis est vraiment au centre de l’œuvre. »
Que fera Lackofsleep maintenant que Woods est né ? En chœur et en écoutant toutes leurs idées, ce sera « une tournée mondiale, en passant par Windsor et par l’aréna de Rock Forest. En bref, une tournée des Cantons de l’Est, des figurines en pâte Fimo à l’effigie des membres et un livre musical dont vous êtes le héros. » Bon plan !
Et c’est ainsi que nous sommes sortis de la camionnette, parce que les gars avaient un album à lancer et surtout parce que Charles L. était assis inconfortablement sur le break à bras du véhicule. On espère que leur retour dans les cantons boisés ne sera pas permanent et que leur tournée sera plus près du mondial que du régional.
Lackofsleep
Woods
Indépendant
Québec, Canada
Note : 8.5/10
En étant masterisé par Ryan Morey, on peut dire que Woods ne ressemble en rien à un premier album d’un groupe de région émergent. Au contraire, on entend les influences de Morey qui a fait partie du travail d’Arcade Fire, des Barrs Brothers et de Plants & Animals, entre autres. On perçoit également l’expérience vocale de Charles Lavoie, toujours en contrôle, touchant et clair.
Lorsqu’on entend les constructions et les déconstructions des rythmes, on comprend que ce sont des musiciens habitués à jammer, à se placer dans des situations d’improvisations qui mènent vers des ambiances sonores calculées, mais jamais redondantes, un son extrêmement riche qui laisse transparaitre les influences folk-classiques de certains membres du groupe. On jongle entre les mélodies touchantes de clavier et les moments plus survoltés qui nous ramènent parfois au style très instinctif de The National. Un indie-rock extrêmement efficace qui pourra se permettre encore plus d’audace à l’avenir.
À écouter :
Goodnight Gunfight : pour l’introduction de cors français qui fait lever le poil sur les bras.
Polar Switch : pour le crescendo musical et vocal qui donne automatiquement envie de se lever pour faire honneur à la musique en dansant… même en public, même dans l’autobus.
Woods est disponible au http://www.los.mu/fr_intro.cfm