gros-mene-agnus-deiGros Mené
Agnus Dei

Grosse Boîte
Québec
Note : 9/10

Peu de gens font du rock comme Fred Fortin et sa bande le font depuis des années au Québec.

De son propre aveu, «il y a un format français au Québec en ce moment. Tout le monde se dirige dans la même direction : le folk ou l’électro-pop […]» (La Presse, 20 octobre 2012). Il n’a pas tort. Pour le folk, ce n’est pas nouveau. Le Québec a une belle tradition de chansonniers. Pour l’électro-pop, les nouveaux artistes qui tentent de se distinguer avec un son plus «recherché» (c’est un grand mot), finissent tous par emprunter le même moule.

Il y a souvent ces émules de Karkwa qui, bien que talentueux, ne perceront probablement pas plus qu’au niveau local. Ou bien ceux-là qui s’inspirent du modèle de Daniel Bélanger, c’est-à-dire de la pop accrocheuse, cérébrale, utilisant claviers, synthétiseurs et beats incongrus. Je pense entre autres à David Giguère, Monogrenade et Dumas, pour ne nommer que ceux-là. Sans dire qu’ils sont mauvais – au contraire –, je vois par contre ici un certain manque de souffle, d’originalité.

Voilà pourquoi cet Agnus Dei, dernier opus de Gros Mené, arrive à point. Le Québec avait besoin d’un coup de pied au cul. En ressortant ce projet des boules à mites, Fred Fortin, Olivier Langevin et Pierre Fortin nous rappellent ce qu’est la recette d’un vrai bon disque de rock. Du crotté, de la grosse distorsion sale, de la bière, du gros fun de gars chauds qui aiment le hockey. Un quelconque ordre dans le désordre.

En faisant suite à Tue ce drum Pierre Bouchard, premier compact du trio paru en 1998, Gros Mené n’oublie pas ses bases stoner rock, mais s’inscrit dans un registre un peu moins trash. Plus contruit, moins éparpillé, Agnus Dei n’en perd pas moins sa folie et son rythme effréné constant.

Olivier «Truite» Langevin (dixit le livret) nous sert, comme à son habitude, de rudes riffs de guitare en pleines dents. Complètement déchaîné sur Liminant Ménard et Bruins, pour ne citer que celles-ci, son son amplement saturé nous rappelle souvent celui de Jack White, même si Langevin sait garder son caractère distinctif fondamental.

Pierre «Crocodile» Fortin, prenant la place de Michel Dufour à la batterie – ce dernier joue toutefois sur Pote Michel et L’amour à l’échelle 1/60 –, apporte une réelle touche éclectique au tout. Solide et énergique tout du long, il nous fait hocher de la tête immanquablement, si on se limite au port d’écouteurs. Gageons que cette tendance sera décuplée lors des prochains concerts du groupe, amplificateurs bien chauffés et haut-parleurs crinqués.

Puis il y a le «Vieux Brochet», Fred Fortin lui-même. On lui reconnaît son style d’écriture, qui peut paraître absurde au premier degré, mais qui prend un autre sens lorsque moindrement étudié (Monstre Marin en est un bon exemple). Sa voix, rauque et surchargée, nous lance ses couplets et ses refrains avec cette désinvolture qui le caractérise. Généralement à la basse, il ne se gêne pas non plus pour s’occuper «du reste» (encore une fois, selon le livret), c’est-à-dire, dépendamment des pièces, percussions et autres arrangements.

Une véritable œuvre de rock, donc, qui pourrait même aller chercher quelques contrées de nos voisins du sud, si ce n’était de la barrière de la langue. Sauf que disons-le, même si les textes ont un certain attrait, on s’intéresse surtout ici au caractère plus musical, rythmique.

Encore une fois, on a la preuve que ça ne prend pas nécessairement de synthétiseurs Nord (vous savez, les claviers rouges que l’on voit partout) et autres bidules électroniques pour se distinguer. Parfois, le simple fait de revenir aux racines, guitare-basse-batterie, en se les réappropriant, peut encore résulter en un disque de grande qualité.

La bande à Fortin nous en fait la thèse, ici.

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