Fat Possum
États-Unis
Note : 8,5/10
« Nobody loves, loves perfection. » Après dix ans de carrière, the Walkmen ont tout accompli ; six albums dans les bacs, d’innombrables tournées à travers le monde et une épopée indie en crescendo. Ce quintette new-yorkais a autant de raisons d’accrocher leurs guitares que de continuer à jouer les héros de scènes jusqu’à leurs morts. On ne leur en veut pas de se questionner ainsi. Surtout que l’an dernier LCD Soundsytem, un groupe avec autant d’histoires que the Walkmen, avait fait ses dernières révérences au Madison Square Garden de New York avant de fermer boutique. Il faut dire que le passage du temps laisse bien souvent ses marques. Et dans le cas des musiciens à l’aube de la quarantaine, les responsabilités familiales deviennent imminentes. C’est dans cet état d’esprit que la troupe du charismatique chanteur Hamilton Leithauser s’est rendue en studio pour composer Heaven.
Sur ce septième disque – le premier de la nouvelle décennie entamée par le groupe – le côté plus spontané et révolté des Walkmen est laissé de côté pour des sonorités plus léchées, plus douces et plus près de ce que serait la perfection. Et si Hamilton Leithauser dit d’entrée de jeu dans We Can’t Be Beat que personne n’aime la perfection, ce n’est pas pour enduire l’auditeur en erreur, mais bien pour se convaincre lui-même de la nécessité de cet album.
Avec les deux opus précédents, Lisbon et You + Me, the Walkmen avaient défini leur style autour de chansons originales où guitares nasillardes et batteries fracassantes s’entremêlaient dans une totale imperfection symphonique. On appréciait le côté improvisé de chacun de leurs morceaux, ainsi que les quelques détails techniques qui sortaient de l’habituel. Pour ce qui est des thématiques lyriques, Hamilton Leithauser usait de sa hargne pour transformer toute victoire quotidienne en désolante nostalgie. Par exemple, sur la pièce Victory dans Lisbon, le groupe offrait une de ses performances les plus glorieuses pour exprimer une défaite en in extremis.
Dans Heaven, ses mêmes frasques du passé deviennent synonymes de bons souvenirs. Comme quoi avec l’âge, le groupe aurait finalement accepté de vivre avec le présent et même de sourire en repensant à leurs plus grandes peines. La chanson éponyme du disque est le meilleur exemple de ce passage à maturité. « Our children will always hear romantic tales of distant years / Our guilty age may come and go / Our crooked dreams will always glow », chante Hamilton Leithauser en début de pièce. Et en mémoire de tous les combats d’une vie, il va jusqu’à demander à ce cher ami ou cette chère compagne de vie de n’abandonner aucune lutte romantique.
Pour ce qui est de la musicalité de l’album, le groupe a fait affaire avec Phil Ek. Ce dernier est connu pour avoir travaillé sur les deux disques des Fleet Foxes. Ce qui explique la présence du chanteur du groupe des barbus, Robin Pecknold, sur la pièce We Can’t Be Beat. Phil Ek est un fin perfectionniste. Son travail avec the Walkmen est perceptible par les sonorités beaucoup plus calculées de la part du groupe. Aucune pièce ne semble provenir d’une pratique improvisée. Selon des entrevues offertes sur Pitchfork, les Walkmen ont d’ailleurs dit avoir éprouvé certaines difficultés à tailler leur son à la hauteur des attentes de Phil Ek. Un simple coup de cymbale de trop était inadmissible à l’enregistrement. Le son des Walkmen en est très changé. Même si la musique respecte le thème de l’album, on sent que le groupe a mis un frein à ses impulsions artistiques pour concevoir des pièces sans défauts techniques.
Malgré un ralentissement de tempo et un passage obligé à la maturité, les cinq garçons établis à New York offrent l’un des meilleurs disques indie de l’année. Ses pièces sont charmantes et conciliantes. Line by Line est d’ailleurs l’un des meilleurs morceaux du groupe. Simple pièce orchestrée sur des mélodies à la guitare et à la voix, le morceau va droit au cœur. En voyage ou en fin de soirée, Line by Line vous empreint d’une sensation de bien-être. Le morceau roulera dans votre tête comme un train dans la nuit. Et si vous acceptez l’invitation, Heaven vous transportera dans cette zone de confort où les regrets sont paradisiaques et les soupçons de nostalgie sont des baumes pour les erreurs de demain.