Dine Alone Music
Canada – Montréal
Note : 7.5/10
Je vais le dire en partant: c’est grâce à des albums comme KookSoul que je réussis parfois à écouter un LP du début à la fin. Depuis que mes prescriptions de Ritalin sont écoulées, je ne peux plus survivre à 60 minutes d’expérimentations post-rock, mais je ne me lasserai jamais d’écouter trois gars dans un studio qui s’amusent comme des fous, surtout s’ils prennent le temps d’envoyer chier Jean Charest sur Facebook.
On pourrait dire qu’un album de 36 minutes, dont une chanson de moins de deux, est l’écho d’une génération incapable de s’exprimer en plus de 140 caractères. Mais on dira plutôt que les pièces de Kook Soul vont droit au but. Et ayant déjà vu les gars de Parlovr sur scène, dans leur formidable hyperactivité, j’ai franchement l’impression que s’ils s’en tiennent à des chansons si courtes, c’est surtout qu’ils pensent déjà à la prochaine.
Cette spontanéité explique peut-être pourquoi Kook Soul n’est pas le Saint-Graal tout au long, et peut-être aussi la puissance brute de ses moments forts. Lesquels? Je dirais entre autres Holding on to Something et Married on a Sunday. Paradoxalement, ce sont les deux chansons les plus sérieuses d’un album qui, malgré une cohérence thématique, est loin de se prendre au sérieux, prenant même un virage rockabilly assez amusant vers la fin (voir Amaze-Me-Jane et General Hell).
Ces deux-là seront parfaites en live, alors qu’Holding on to Something s’écoute chez soi, s’envoie à sa blonde et – c’est ce que j’écrirais si j’étais critique à La Presse – vieillira comme le bon vin. Cette chanson a tout: une originalité formelle (voyez le changement de signature rythmique entre le couplet et le refrain), une mélodie à faire brailler les policiers du SPVM, une instrumentation efficace mais subtile, une fragilité, une imperfection superbe, et des paroles dont l’intelligence est l’arme secrète de Parlovr.
Cette habileté lyrique se remarque tout aussi clairement sur Married on a Sunday. Je n’en reviens presque pas qu’ils aient réussi à si bien remixer les paroles de Friday I’m In Love. Louis David Jackson y chante: «She got married on a Sunday, but it rained on the Monday. The people they said “Maybe you should call this off“, but she said no way, I’ma love him ’til I drop.» Ce storytelling digne des meilleurs rappeurs exprime bien l’espèce de romantisme 2.0 d’une génération pas si insensible que ça.
Et dans ma préférée, on entend Louis crier: «I’m holding on to something. I’m holding on to you.» Pouvez-vous mieux me résumer le drame de la rupture amoureuse? Si on aime, c’est qu’on a BESOIN de se tenir après quelque chose, après quelqu’un, pour ne pas sombrer dans le vide, et quand la corde pète, c’est la chute libre. La fameuse formule «C’est pas toi c’est moi» est d’autant plus frustrante. On a juste envie d’y répondre: «Pourquoi tu me fais chier alors, câlisse!»
Mais on ne peut pas alors qu’est-ce qu’on fait?
On fait comme Heinrich Heine nous le suggère dans son Romanzero (la traduction est de moi): «Si l’on t’a trahi, sois d’autant plus fidèle. Et si ton âme se meurt, prends donc une guitare. Les cordes feront retentir une chanson héroïque, pleine de flammes et de braises! Ainsi fondera la colère, et ton coeur, doucement, se videra de tout son sang.» Je parie que les gars de Parlovr sont fans de poésie allemande du 18e.
Kook Soul est en écoute libre sur le site internet d’Exclaim.