Warner Bros / Vertigo
États-Unis
Note : 8/10
Deux choses. Si vous étiez parmi ceux qui ont hué Lou Reed lors de son dernier passage à Montréal avec Laurie Anderson et John Zorn, ne perdez pas votre temps à lire les prochaines lignes. Et si vous êtes de ceux qui espèrent toujours une suite au Black Album, vous devriez plutôt retourner démolir ce qu’il peut rester du Stade Olympique. Puisque dans les deux cas, vous vous sentirez probablement trahis par cette rencontre inattendue. Pour tous les autres, préparez-vous à dévorer une des bonnes parutions de 2011.
Fin septembre, comme presque tout le monde, je suis loin d’être rassuré par ma première écoute de The View (le premier simple tiré de Lulu). Je m’attendais au pire. Je pouvais déjà me voir pleurer le génie de Lou Reed anéanti par le métal abrutissant de Metallica (du moins celui des vingt dernières années). C’était cependant sous-estimer le potentiel créatif d’un des artistes américains les plus monumentaux des cinquante dernières années.
Il faut dire que Lou Reed n’a jamais fait dans la facilité. Il fait peu de compromis (sinon aucun) et évite tout ce qui pourrait ressembler à un palmarès depuis plus d’une vingtaine d’années. Ce n’est certainement pas cette adaptation de deux pièces du dramaturge allemand Frank Wedekind qui va changer les choses. Mais ça, il doit le savoir. Sa toute aussi sombre (et remarquable) adaptation de Berlin lui avait valu son lot d’insultes en 1973.
Dix morceaux et près d’une heure trente de musique, voici tout ce dont Reed avait besoin, afin de tempérer le son d’un groupe métal légendaire qui tournait en rond depuis trop longtemps. On y reconnaît tout de même quelques-unes des manies de Metallica (le jeu parfois peu subtil de Lars Ulrich ou certaines mélodies de guitares qui collent au groupe depuis l’ère Bob Rock), mais au final, on ressent un réel désir d’exploration. Un premier pas dans la bonne direction pour Metallica depuis… And Justice for All (1988). En espérant que le groupe conserve quelque chose de cette expérience pour les albums à venir.
Du côté de Reed, rien de nouveau. Il continue de travailler ses textures drone, que ce soit à la guitare ou derrière son clavier Continuum. La voix usée par des années d’excès (une voix qui rappelle parfois le Dylan des dernières années ou même Johnny Cash), il raconte beaucoup plus qu’il ne chante. Il raconte l’histoire d’une ancienne diva tombée dans la prostitution. Le genre d’histoire que seul l’ex-Velvet Underground peut s’approprier. En toute fin d’album, il se permet même d’entraîner le groupe californien dans une longue composition ambiante d’une durée de près de vingt minutes (Junior Dad). Une clôture à la hauteur de l’œuvre.
Un album à écouter (et à évaluer) dans son entité. La plus grande erreur de la compagnie de disques aura été d’en tirer un simple, puisque prises hors-contextes, les pièces de l’album perdent quelque peu de leur raison d’être. Surtout pour les fans de Lou Reed, plus précisément ceux qui ont réussi à le suivre à travers toutes ses expérimentations des vingt dernières années…