par Émilie Bergeron, Rachel Del Fante, Williams Fonseca-Baeta et Aurélie Lanctôt
La critique n’existe pas dans l’univers des mauvais garçons de New York. Aussi aveugles que sourds, les Beastie Boys, aujourd’hui quadragénaires, offrent aux critiques le même doigt d’honneur qu’ils se targuaient de faire il y a plus de vingt ans. Cette indifférence envers ce qui doit être et ne pas être fait, les a propulsé plus d’une fois au sommet des palmarès. Et en vérité, c’est un peu pour cette raison qu’on les aime. Qui n’a pas rêvé d’être le quatrième membre de ce trio d’enfer pour qui une bouteille de champagne, un vieux disque de funk et quelques vers acerbes suffisent pour confectionner un succès.
Pour les sceptiques, voici onze raisons d’apprécier une œuvre musicale de plus de vingt-cinq ans. Après ça, si vous n’êtes toujours pas convaincu par tout ce bruit, et bien . . . you’re just jealous, it’s the Beastie Boys.
(You Gotta) Fight For Your Rights (To Party!)
Premier simple de l’album Licensed to Ill, Fight for Your Right s’est hissé en septième position du palmarès Billaboard, en 1987. Entre légèreté, divertissement et caricature, les Beastie Boys s’y donnent une attitude dépourvue de sérieux à laquelle on adhère instantanément. Même si le trio a peu d’estime pour Fight for Your Right en raison de sa futilité, son succès est indéniable, et ce, même à travers le temps. Ceux qui comprennent l’ironie de la pièce, comme ceux pour qui elle passe totalement inaperçue, aiment scander son refrain. Sans réfléchir, tout le monde prend plaisir à répéter les rimes absurdes du morceau.
Le magazine Rolling Stone classe d’ailleurs le morceau au 16e rang de son top 50 des meilleures chansons de la décennie 2000 et 478e de son palmarès des 500 meilleures chansons de tous les temps.
Rachel Del Fante
No Sleep ‘Till Brooklyn
Suite au succès de Crooky Puss, les Beastie Boys ont fait éclater la scène hip-hop avec leur premier album Licensed to Ill, en 1986. Pour la première fois, un groupe a mêlé hip-hop et accords puissants de rock/métal. C’est ce mélange à l’effet vibrant additionné à des rimes intelligentes et ironiques qui ont fait le succès des Beastie Boys. No Sleep till Brooklyn représente bien l’attitude démesurée avec laquelle le trio chante tout au long de l’album. Sur un échantillon de la pièce T.N.T de AC/DC, les New-Yorkais riment We’re thrashing hotels like it’s going out of style, getting paid along the way cause it’s worth your while. Le vidéo-clip du morceau parodie la scène glam/métal des 80’s. D’hier à aujourd’hui, les mauvais garçons de New York riment leur nom avec extravagance.
Rachel Del Fante
Hey Ladies
Plus de quinze chansons différentes ont donné naissance à cette pièce des Beastie Boys. Véritable ramassis éclectique de tout ce qui peut secouer les hanches et levers les pieds, Hey Ladies a été le premier morceau de l’histoire a se classé autant dans les palmarès du hip-hop que du rock.
La culture populaire s’inscrit comme un élément prédominant des paroles de ce morceau. En passant par l’oreille du peintre Van Gogh, et l’histoire derrière le succès Ballroom Blitz de Sweet, le trio enchaîne des propos machos à une percussion de cloches à vache. Misogynes? Sûrement. Sérieux? Pas vraiment. Le groupe caricature la surdose de testostérone de la culture populaire, tout en se moquant dans son vidéoclip de films comme Saturday Night Fever.
Williams Fonseca-Baeta
Shadrach
Shadrach est un arrangement de huit pièces funk, ayant pour ligne directrice Loose Booty de Sly Stone. Le même thème musical revient tout au long de la pièce. Les Beastie Boys chantent «Shadrach, Meshach, Abednego» en référence à un passage de la Bible relatant l’histoire de trois nobles hébreux qui refuse de s’incliner devant un roi par fidélité à leur religion. Ce morceau exprime l’entêtement du groupe à rester fidèle envers ses aspirations musicales et à ne pas se soumettre à l’industrie du disque. Shadrach doit sûrement sa popularité à la vibrance qu’elle procure. L’alliance du rap agité des Beastie Boys à des thèmes de funk accrocheurs anime l’esprit. La créativité du morceau égale celle de l’album sur lequel il figure. Le disque, Paul’s Boutique, est considéré comme le Pet Sounds du genre hip-hop.
Rachel Del Fante
So What’cha Want
So Wat’cha Want? C’est la question que posent les Beastie Boys sur leur troisième disque, Check Your Head. Après le succès fulgurant de l’album Paul’s Boutique, le trio new-yorkais n’a plus l’intention de répéter ses succès. Sur ce morceau, le groupe prend le temps de présenter à tour de rôle les personnages qu’ils mettent de l’avant depuis maintenant trois albums. Les Beastie Boys sont animés du même sentiment de révolte que sur ses succès précédents. Pourtant cette fois-ci, le groupe semble s’attaquer davantage à l’étiquette que l’industrie du disque leur a collée qu’à la société dans laquelle ils vivent. Les Beastie Boys ne fêtent plus, ils préfèrent maintenant se poser des questions.
Williams Fonseca-Baeta
Sabotage
Succès incontesté du quatrième album des Beastie Boys, Ill Comminucation, lancé en 1994, Sabotage n’en fut définitivement pas un! Si l’on peut énoncer comme légendaire une pièce du groupe – déjà légendaire en soi – celle-ci est toute désignée. Alors qu’à cette époque, les rappeurs trash qu’on cite à ce jour comme de petits rois du hip hop balbutiaient leurs premières rhymes, les BB et leur imposture en mettaient déjà plein la vue et les oreilles aux rapophiles précoces de l’aube des années 90. Le vidéoclip de la chanson aura lui aussi laissé une trace indéniable dans l’histoire du vidéo musical. Parodie avouée des soaps policiers des années 70s, la mini-satire sur trame de hip hop est remarquablement bien orchestrée cinématographiquement. L’année du succès de Sabotage, la pièce a raflé une quantité impressionnante de nominations aux MTV Video Music Awards, créant une brèche dans l’univers du vidéoclip qui entrouvrit la porte aux vidéos musicaux ultra-élaborés qu’on peut voir à ce jour.
Aurélie Lanctôt
Root Down
Root down est apparu dans l’album Ill Communication, en 1994. Ce quatrième disque des Beastie Boys a surtout été remarqué pour la pièce Sabotage, qu’on reconnaît par ses crescendos délirants de guitare électrique. Root Down, autre morceau du disque, amène quant à elle, avec un peu moins de hargne, mais tout autant d’assurance, un refrain qui donne envie de «faire partie de la gang». Les voix se font écho, rallient, chantent et déchantent, portées par des passe-passe de percussions, parfois momentanément entraînées dans des aléas davantage groovy et reggae.
Trois variations de Root Down voient le jour l’année suivante, regroupées dans un album live réalisé en Europe. Le disque tire son nom du morceau. Plus que de simples reprises, ces nouvelles versions sont aussi fortes et aussi recherchées que leur originale ; l’une plus hip-hop, l’autre, plus alternative laisse échapper des sons de cuivres à l’occasion.
Émilie Bergeron
Intergalactic
Intergalactic, single lancé en mai 1998, se hissa aussitôt au sommet des palmarès, autant aux États-Unis qu’au Royaume-Uni. Le Grammy que la chanson aura valu au groupe en 1999 ne fut pas décerné sans raison, il n’y a pas à redire. Non-seulement Intergalactic est interstellaire, entrainante et totalement éclatée, mais sa composition est véritablement recherchée. La trame musicale du tube allie l’échantillonnage du thème principal du film The Toxic Avenger (1985) à des éléments mélodiques calqués sur le Prélude en Do mineur de Rachmaninov, en plus d’inclure un freestyle impressionnant de Biz Markie en clôture de la pièce. C’est, à mon sens, ce qu’on peut appeler de l’éclectisme à l’état pur. Et avec un vidéoclip aussi désaxé, avec du glauque bien dosé et une ambiance post-Star Trek assumée, pas étonnant que le morceau soit passé à la postérité dans l’univers du rap.
Aurélie Lanctôt
An Open Letter to NYC
Sur ce morceau, les Beastie Boys rendent hommage à la ville de New York, à sa diversité et sa force. Après le solennel «listen all you New Yorkers» du standard jazz New York’s my home, de Sammy Davis Jr., une cassure amène la pièce vers un rap où les paroles sont mises au premier plan. Les rimes s’enchaînent dans un véritable élan d’amour que le trio déclame à leur ville, belle par ses contradictions, sa tangibilité et sa vie grouillante. An Open Letter to NYC fait écho à l’attentat du 11 septembre 2001. Vers la fin du morceau, l’épisode noir est cité sur quelques mots: «Dear New York I know a lot has changed; 2 towers down but you’re still in the game». Construit autour de la pièce Sonic Reducer du groupe punk The Dead Boys, le rap fait partie de la trame sonore du jeu vidéo NBA Street V3.
Émilie Bergeron
The Electric Worm
Electric Worm marque en 2007 un tournant pour les rappeurs maintenant quadragénaires. Le morceau s’inscrit dans leur premier album entièrement instrumental: The Mix-Up. Il y a longtemps que la formation songeait à concevoir un album instrumental, voire depuis Check your head (1992 ).
Les percussions donnent à la pièce un rythme à saveur reggae, des arrangements funkie et un son plus mature, moins adolescent et plus poignant. Certains critiques décrieront l’éloignement du groupe de ses sources post-punk. Somme toute, on ne peut qu’être emporté par cette vague quasi années soixante-dix qu’offre Electric Worm, le vent dans les voiles.
Émilie Bergeron
Don’t Play No Game That I Can’t Win feat. Santigold
Histoire de perpétuer l’ordre chronologique : la dernière, mais non la moindre Don’t Play No Game that I Can’t Win ne risque pas de tomber dans l’oubli de si tôt. Si elle n’a pas encore fait ses preuves à coup de tête de palmarès, elle a vite fait de commander la répétition en boucle! La participation de Santigold à une composition originale des Beastie Boys est de toute évidence un mariage gagnant, en plus de teinter Hot Sauce Committee d’une touche féminine surprenante et rafraîchissante. Le progrès n’arrête jamais avec ces papis irrévérencieux.
Aurélie Lanctôt