Dinosaur Jr.
Farm
Jagjaguwar
États-Unis
Note : 8.5/10
Dinosaur Jr.. C’est un fait connu que Jay Mascis a très largement contribué à créer un son typique du son alternatif grâce, entre autres, à l’utilisation de la Fender Jazzmaster. En découle le son de Sonic Youth puisque, à la fois Thurston Moore et Lee Ranaldo utilisent cette guitare depuis qu’ils ont découvert ce dont étaient capables Mascis et son arme de prédilection. Et que dire de Kevin Shields, principal artisan derrière My Bloody Valentine, lui aussi fan de la Jazzmaster (et des pédales d’effet qui n’en finissent plus)?
Il s’agit ici de trois groupes majeurs pour la musique alternative des années 80 à nos jours. L’utilisation massive de distorsion dans la guitare, les feedbacks, les murs de son bref, depuis You’re Living All Over Me, on entend l’héritage de Dinosaur Jr. un peu partout. Et c’est sans compter ici la valorisation du lead guitar qui peut souvent être absent dans ce courant musical (Interpol, quelqu’un?). Mais avant toutes choses, Dinosaur Jr. a produit plusieurs disques de qualité, dont celui-ci, Farm.
Dès «Pieces», pièce d’introduction, ça sonne fort. Accords barrés remplis de fuzz sur une batterie tappante suivies de la voix, très mélancolique et toujours aussi cassante de Mascis. Aux accords rythmiques se succèdent des passes de mélodies rock sans crier gare, passant de l’un à l’autre sans avertissements pour créer une chanson de rock, point final. Et merde, c’est bon. Rien de surproduit, rien de trop poussé, aucune tentative de vernir le tout pour mieux faire passer tout ça à la radio. Non, du rock bruyant, solide et captivant. «I Want You to Know», «Friends» et «There’s No Here» se classent parmi la même catégorie de chansons. Structures éclatées mais pas trop, passages forts et bruyants, solos parfois trop longs.
Parfois ça va être plus noisy. «Plans», du haut de ses 6 minutes 42 secondes de durée, crée l’émotion grâce au timbre de voix de Mascis qui se fond complètement avec les accords bruyants de guitare et les cassures mélodiques lentes et pleines de tremolo en alternance. Mélangeons à cela des paroles profondes et émotives («I got nothing left to be/Do you have some plans for me?/I know you do/I know you do» et on obtient une réussite touchante de par l’atmosphère rendue par l’émotion absorbée par le bruit ambiant qui, tout en tentant d’enterrer la voix de Mascis, la rend plus forte et lui donne du sens, comme crier dans un oreiller.
«Your Weather» s’inscrit dans le même registre, avec une intro de guitare très smog-ish, des couplets avec deux pistes de guitares séparées dans chaque canal sur fond de batterie roulante. Chaque passage se fait barrer la route par la réapparition du riff d’introduction, jusqu’au refrain qui monte en crescendo pour finir sur des solos de guitare qui cessent, reviennent et retournent au refrain. Situation semblable pour «Over It», où Mascis fait sonner ses cordes de façon explosive dans les refrains. La mélodie se compose d’un riff en wah-wah et le refrain coupe brusquement le rythme en le faisant décoller avec des trombes de tambour.
Ce qui fait que cet album est un aussi solide disque de rock alternatif repose essentiellement sur les concepts même du rock. Lead guitar, basse, batterie, distortion, feedback et autres caractéristiques de ce genre de musique sont présentes mais, contrairement à Nickelback ou tout autre groupe plastique filtré plusieurs fois en studio pour assuré d’une qualité de son ridiculement artificielle, il ne s’agit pas d’un pur produit élaboré par un esprit marchand d’un major quelconque.
Alors qu’ils auraient bien pu se concentrer sur des refrains accrocheurs, des couplets s’envolant en crescendo, des solos après chaque second refrain, les membres heureusement réunis de Dinosaur Jr. ont tout simplement relâché un disque de rock alternatif dans toute sa splendeur, démontrant que la musique n’est pas que du divertissement mais plutôt quelque chose de culturel et d’artistique représentant les identités des civilisations.